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Livraisons d’armes : «Les Occidentaux se rallient à l’idée que l’Ukraine peut se lancer dans une guerre de reconquête»

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interviewé par Benjamin Delille dans

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Les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux se sont réunis ce mardi à Ramstein, en Allemagne, pour organiser les livraisons d’armes à l’Ukraine. Pour le chercheur Elie Tenenbaum, cette aide est un tournant qui pourrait permettre aux Ukrainiens de contre-attaquer face à la Russie.

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Avion cargo C-130 Hercules de l'US Air Force, Ramstein, Allemagne
Avion cargo C-130 Hercules de l'US Air Force, Ramstein, Allemagne
Michael Fitzsimmons/Shutterstock
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«Remuer ciel et terre» pour faire gagner l’Ukraine contre la Russie. La promesse ambitieuse des Etats-Unis n’a qu’une seule traduction possible pour éviter une troisième guerre mondiale : les livraisons d’armes. C’était le sens d’une réunion entre Washington et ses alliés ce mardi à Ramstein en Allemagne. Un tournant dans la guerre selon Elie Tenenbaum, directeur du Centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales.

En plus des Américains, de nombreux pays européens multiplient les annonces de livraison d’armes lourdes. De quoi parle-t-on exactement ?

On parle d’un grand changement. II s’agit d’une deuxième phase de livraison d’armes. La première, juste après le 24 février, concernait des armes dites «défensives» c’est-à-dire qu’elles servent à contrer une attaque adverse, et ce même si leurs effets peuvent être létaux. Depuis, on a atteint un certain plateau avec les demandes formulées par l’Ukraine en vue de moyens plus offensifs ou polyvalents (avions de combat). Les Américains sont restés prudents, mais l’évolution de la situation leur a fait changer d’avis pour deux raisons. D’abord le retrait russe du nord et du nord-est, qui a démontré le succès de l’armée ukrainienne. Ensuite, la découverte des crimes de guerre à Boutcha a fait sauter des verrous politiques sur l’accélération des livraisons d’armes. On assiste donc à une nouvelle tranche de matériel beaucoup plus offensif. Citons les véhicules de transport de troupes et de combat d’infanterie, et surtout la livraison de systèmes d’artillerie lourde comme le PzH-2000 livré par les Néerlandais et les fameux canons Caesar promis par la France. On peut évoquer aussi des armes antiaériennes comme le char Flakpanzer allemand annoncé mardi. Enfin, il y a désormais aussi des chars de combat, comme les T-72 polonais et d’autres pays de l’est.On est sur une nouvelle gamme de matériel. A la fois dans l’utilisation tactique qui peut en être faite, mais aussi dans la génération. Des systèmes comme le PzH-2000 ou le Caesar sont des productions occidentales : ce ne sont plus des stocks du pacte de Varsovie. Ce sont des armements en partie numérisés dans leur mise en oeuvre avec une prise en main plus complexe.

Qu’est-ce que cela signifte concrètement ?

D’abord, que les Occidentaux se rallient à l’idée que l’Ukraine peut se lancer dans une reconquête des territoires pris par la Russie. Cela pose la question d’où cette contre-offensive s’arrêterait : très certainement les territoires occupés depuis le 24 février, peut-être le Donbass, moins certainement la Crimée. Ensuite, que les Occidentaux se mettent dans une logique de guerre longue où on va former les troupes ukrainiennes pendant qu’elles combattent. II s’agira de former les opérateurs dans les pays membres de l’Otan, avant de leur livrer du matériel selon les mêmes modalités que jusqu’à présent, surtout via la Pologne. C’est là que le train logistique ukrainien récupère le matériel pour ensuite racheminer au front.

Au début de la guerre, le rapport de force semblait en faveur de la Russie. Ces livraisons peuvent-elles rééquilibrer le conflit ?

L’armée russe a accusé beaucoup de pertes, elle ne bénéflcie plus d’une supériorité numérique écrasante sur le terrain, face à une défense territoriale ukrainienne qui a mobilisé largement. La chute de Marioupol devrait dégager des marges de manoeuvre pour les Russes,mais le rapport de force est plus équilibré qu’au début. Les forces morales semblent favoriser le côté ukrainien. Cela ne veut pas dire qu’on est à l’équilibre. Mais si les livraisons sont effectives, que la mise en oeuvre par les Ukrainiens est efficace, les choses pourraient basculer pour peu qu’il y ait des unités de l’armée russe qui viennent à craquer.

Ces livraisons d’armes lourdes représentent-elles un point debascule dans le rapport des Occidentaux face à la Russie ?

Dire que l'Ukraine doit pouvoir gagner, c’est une chose, mais cela implique que la Russie doit perdre, ce qui a une tout autre portée. Acculer à la défaite une puissance nucléaire dans une guerre continentale impliquant des intérêts considérés par elle comme vitaux, ça n’a rien d’anodin. C’est aussi cela qui se débat à Ramstein. Qu’est-ce que cela veut dire pour l'Ukraine de gagner, et qu’est-ce que cela veut dire pour la Russie de perdre ? Parmi les raisons qui poussent un Etat à se doter de l’arme nucléaire, c’est de disposer d’une carte «joker» qu’il peut sortir dans un conflit pour dire «stop, je ne peux pas perdre». Une défaite majeure d’une puissance nucléaire dans un conflit conventionnel serait une première dans l’histoire militaire depuis l945.

 

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Élie TENENBAUM

Élie TENENBAUM

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Directeur du Centre des études de sécurité de l'Ifri

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Avion cargo C-130 Hercules de l'US Air Force, Ramstein, Allemagne
Michael Fitzsimmons/Shutterstock