L’œil de Castex. À bord de la frégate « Bretagne » dans la région stratégique de l’Indopacifique
Céline Pajon, réserviste citoyenne de la Marine nationale et responsable des activités Japon et Indopacifique au centre Asie de l’Institut français des relations internationales (Ifri), a embarqué sur la frégate multimission (Fremm) « Bretagne » lors de son passage en mer de Chine méridionale. Avec Marc Julienne, directeur du centre Asie de l’Ifri, elle revient sur les enjeux de ce déploiement au long cours.
La Frégate multi-missions (FREMM) Bretagne de la Marine nationale est déployée dans l’Indo-Pacifique dans le cadre de la mission Tanskorn, pour une durée de huit mois. Partie de son port d’attache de Brest en avril 2024, elle a rejoint l’océan Indien, puis navigué en mer de Chine méridionale avant de rallier Guam et Hawaï, où elle a pris part à l'exercice multilatéral RIMPAC. Ce déploiement s’est poursuivi jusqu’à Yokosuka, au Japon, où l’équipage a été relevé, avant de commencer son retour vers la France, prévu pour octobre. L’autrice a eu la chance d’embarquer lors d’une traversée de la mer de Chine du Sud, de Jakarta à Manille, dont elle tire les leçons dans une récente publication de l’Ifri.
Ce déploiement s’inscrit dans la stratégie française pour l'Indo-Pacifique. Cette vaste région, qui s'étend de l'Afrique de l'Est à l’Océanie, est reconnue comme un espace crucial sur le plan stratégique et économique. La France y possède des territoires ultra-marins, où résident 1,8 million de citoyens, et un immense domaine maritime de 9 millions de km² qu’elle a la responsabilité de défendre dans un contexte marqué par l'instabilité, la montée des tensions géostratégiques, et la dégradation de l’environnement naturel. La France projette régulièrement des moyens aéronavals depuis la métropole, afin de compléter l’action de ses forces de souveraineté, de renforcer ses connaissances et capacités d'action dans la région, tout en approfondissant ses partenariats dans la zone.
En mer de Chine méridionale, Pékin revendique près de 80 % de la zone et considère les eaux internationales comme faisant partie intégrante de son territoire, pistant systématiquement tout navire militaire et défiant ainsi les principes établis par le droit de la mer. En opérant régulièrement dans cette zone, la Bretagne, comme d’autres bâtiments français avant elle, participe à la défense de la liberté de navigation et d’un ordre maritime international fondé sur le droit. Ces passages permettent aussi d’établir une appréciation autonome de l’environnement naturel, des usages maritimes, du comportement des acteurs en présence et de leur niveau de compétence opérationnelle.
En mer de Chine méridionale, la FREMM a également conduit pour la première fois des manœuvres multilatérales comme Valiant Shield aux côtés des États-Unis, du Japon et du Canada afin de renforcer la confiance mutuelle et l’interopérabilité entre marines, un avantage crucial pour mener des opérations conjointes dans un environnement complexe. La Bretagne a également eu l’occasion de travailler au sein du groupe aéronaval américain n°9 et s’est exercé avec des pays comme l’Inde, l’Indonésie, les Philippines, mais aussi l’Italie ou l’Allemagne.
Ce type de mission au long cours pose toutefois de nombreux défis logistiques. L’Indo-Pacifique est une zone éloignée, avec des distances qui mettent à l’épreuve les capacités de ravitaillement et la planification. Il faut trois semaines pour qu'un navire français rejoigne Singapour depuis Toulon, et des moyens sophistiqués sont nécessaires pour garantir l’autonomie des bâtiments déployés. La gestion de l’eau douce, du carburant, et des vivres nécessite une organisation rigoureuse, tandis que la moindre avarie technique peut compliquer considérablement une mission. C’est pourquoi l’agilité logistique et la coopération avec des marines partenaires pour le ravitaillement à la mer sont des éléments clés du succès de ce type de déploiement. S’assurer de nouveaux points d’appui dans la région est ainsi devenu une priorité stratégique pour la marine française.
La France doit par ailleurs améliorer sa communication autour de ses déploiements dans l’Indo-Pacifique. Si ses partenaires militaires perçoivent bien ses actions, les gouvernements et les médias, y compris en France, en sont souvent peu informés. Cette faiblesse dans la communication stratégique peut nuire à la compréhension des objectifs français dans la région et laisser le champ libre à d’autres puissances pour influencer le récit de ces déploiements. La France doit faire entendre sa voix de manière plus claire et cohérente, pour affirmer son rôle de puissance responsable et constructive dans l'Indo-Pacifique.
En conclusion, le déploiement de la FREMM Bretagne dans le cadre de la mission Tanskorn s’inscrit dans une démarche plus large visant à renforcer la présence française en Indo-Pacifique et à protéger ses intérêts dans cette zone vitale. La France démontre ainsi sa capacité à projeter des moyens militaires à grande distance, à travailler en étroite collaboration avec ses partenaires, et à défendre un ordre international fondé sur le droit. Cependant, pour pleinement atteindre ses objectifs, elle doit aussi renforcer sa communication stratégique, afin que ses actions sur le terrain soient mieux comprises et soutenues, tant par ses partenaires que par ses citoyens.
>>> Retrouver la tribune sur le site du Marin.
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