M&A : les Européens financent dix fois moins d'opérations que les Américains dans les secteurs sensibles en Chine
Vent debout contre le projet de la Commission, les entreprises européennes considèrent que Bruxelles rate sa cible. Selon une étude de l'Ifri, les Européens financent moins de 1 % des transactions dans les technologies de pointe en Chine.
Poussé par Washington, Bruxelles projette de filtrer les investissements sensibles des Européens dans la tech chinoise. Mais s'il faut chercher le principal allié étranger de Pékin pour le financement de son arsenal dans le quantique, l'intelligence artificielle les biotechnologies et les semi-conducteurs, il est plutôt aux Etats-Unis.
Les Européens ont financé moins de 1 % des transactions dans ces secteurs ces vingt dernières années (149), de 2003 à 2023. Les Américains ont réalisé dix fois plus d'opérations (1.602), ce qui en fait les premiers financiers étrangers de la Chine dans ces technologies de pointe.
C'est ce qui ressort de l'examen de plus de 22.600 deals financiers concernant 7.660 entreprises chinoises, mené par l'Institut français des relations internationales (Ifri). Celui-ci estime au final « très modeste » l'appui des investisseurs des 27 Etats membres à l'appareil chinois, y compris sur les enjeux de sécurité qu'il représenterait aux yeux de Washington.
Sur la période la plus récente (de 2019 à 2023), le nombre de cycles de financement « 100 % européens » est faible (17 sur 93).
Dans la grande majorité des cas, les acteurs européens co-investissent aux côtés d'investisseurs chinois, voire d'autres investisseurs notamment d'outre-Atlantique. En réalité, constate même l'Ifri, la part des Occidentaux, américains et européens cumulés, est déclinante, et Pékin finance son arsenal essentiellement par des capitaux nationaux (trois quarts des transactions entre 2003 et 2023). Les investisseurs chinois ont investi onze fois plus dans ces deals critiques que les Américains (17.582).
La France deuxième derrière l'Allemagne
Le poids français, lui-même, est très limité. Sur les quelque 150 transactions menées par des Européens en vingt ans, 36 ont été conduites par des investisseurs tricolores - dont le fonds franco-chinois Cathay Capital, premier investisseur européen avec 22 deals. C'est d'outre-Rhin que les flux sortants vers la Chine sont les plus importants à l'échelle européenne, avec 49 deals. En Allemagne, 40 % des transactions proviennent des grands groupes industriels de l'automobile ou de la chimie, comme BASF, Bosch, Bayer, Mercedes-Benz ou Volkswagen.
Seules trois transactions à l'échelle européenne ont été identifiées par l'Ifri comme potentiellement problématiques aux yeux de la politique de Washington. L'une menée par la filiale italienne du fonds britannique Amber Capital, créé par le Français Joseph Oughourlian, vise une entreprise spécialisée dans l'industrialisation des puces quantiques optiques (secteur lié à l'écosystème militaire chinois), Siliang Intelligent Technology. Les deux autres impliquent des entreprises allemandes. L'industriel Continental a co-investi avec SenseTime, sanctionné par les Etats-Unis et inscrit sur la liste du complexe militaro-industriel chinois, ainsi que dans Enjoy Move Technology, spécialisé dans le développement de plateformes logicielles de calcul haute performance.
Plus problématique, dans les semi-conducteurs, le fonds allemand High-Tech Private Equity a investi dans la fonderie chinoise SJ Semi, associée à l'appareil militaire chinois et sous sanctions américaines. « Cet investissement dans une entreprise sur liste américaine n'est pas interdit à l'heure actuelle - d'autant plus pour une entreprise non américaine - ni passible de sanctions, souligne l'Ifri. Il illustre toutefois l'existence (limitée) de liens qui pourraient être risqués sur le plan sécuritaire (risque que SJ Semi contribue à la modernisation militaire chinoise, selon les autorités américaines) et économiques (risque en cas de durcissement des réglementations américaines). »
Les fonds américains les plus offensifs
Ce n'est rien toutefois au regard de la dynamique des investissements des plus gros fonds américains, comme GGV Capital, OrbiMed, Intel Capital ou Qualcomm Ventures. Parmi les dix premiers investisseurs d'outre-Atlantique les plus actifs, pas moins de sept ont investi dans des entreprises chinoises sanctionnées par les Etats-Unis, analyse l'Ifri, que ce soit pour leurs liens avec l'armée, leur implication dans des violations de droits humains ou leurs actions contraires aux intérêts de la politique étrangère américaine.
Au total, au moins douze entités chinoises de l'IA et des semi-conducteurs sur la liste des sanctions - comme IntelliFusion, spécialisé dans la reconnaissance faciale, et 4Paradigm, dans l'IA - ont bénéficié de financements américains. Deux investisseurs américains, Parkway Venture Capital et iResearch Capital, ont par exemple investi dans SenseTime après que l'expert en reconnaissance faciale a été visé par Washington.
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