Macron-Poutine à Saint-Pétersbourg, les enjeux du "match retour"
Invité par Vladimir Poutine, Emmanuel Macron sera reçu ce jeudi soir à Saint-Pétersbourg. Le contexte international s'est tendu depuis leur dernière rencontre à Versailles.
Un an après celle du château de Versailles, qui avait marqué les esprits et lancé Emmanuel Macron sur la scène internationale, cette nouvelle rencontre est très attendue. Le nouveau président français effectue ces jeudi et vendredi sa première visite officielle en Russie : l'occasion de trouver des "points d'accord" avec Vladimir Poutine sur les dossiers sensibles du nucléaire iranien et de la Syrie malgré les divergences entre les deux pays.
Les deux hommes se retrouveront ce 24 mai en fin de journée dans le cadre majestueux du palais de Constantin, une résidence d'été de Pierre Le Grand située à une vingtaine de kilomètres de Saint-Pétersbourg. Ce vaste château qui donne sur la mer avait accueilli le sommet du G20 en 2013.
A quoi ressemble la Russie sous Vladimir Poutine ?
Vendredi matin, Emmanuel Macron, accompagné de son épouse Brigitte, rendra hommage aux victimes du terrible siège de Leningrad durant la Seconde guerre mondiale, avant une rencontre avec des membres de la société civile. L'après-midi sera consacré au 22e Forum économique de Saint-Pétersbourg, dont Emmanuel Macron est l'invité d'honneur avec le Premier ministre japonais Shinzo Abe.
Iran, la chance d'un rapprochement
Sur l'Iran, la Syrie et l'Ukraine, Emmanuel Macron a la volonté "d'avoir un dialogue substantiel [...] pour dégager des points d'accord communs", a indiqué l'Elysée.
"Nous le faisons les yeux ouverts", "avec la conscience de la difficulté que cela représente".
Après le retrait tonitruant de Donald Trump de l'accord sur le nucléaire iranien, la France et la Russie, cosignataires du texte, ont affirmé leur détermination à le sauver. Après des années de tensions liées à la crise ukrainienne et la récente affaire de l'empoisonnement d'un ex-membre du renseignement russe en Grande-Bretagne, la Russie a tout à gagner d'un rapprochement avec les Européens sur la question iranienne.
- "Pour Poutine ce serait un grand succès d'arriver à une déclaration commune sur ce sujet", résume Tatiana Kastouéva-Jean, experte à l'Institut français des relations internationales (Ifri), auprès de l'AFP.
"Paradoxalement, à cause de l'histoire sur le nucléaire iranien, nous avons une chance de trouver de nouvelles bases de coopération entre la Russie et l'Europe", esquisse de son côté une source diplomatique russe.
Les deux capitales divergent toutefois sur la stratégie. Moscou, qui s'est rapproché de Téhéran, réclame que l'accord reste en l'état, tandis que Paris veut un nouvel "accord élargi" prenant en compte le contrôle de l'activité nucléaire après 2025, le programme balistique de l'Iran ainsi que la situation en Syrie et au Yémen.
Des accords bilatéraux dans les domaines économique, universitaire, culturel et sportif (entre les fédérations de rugby) seront signés durant la visite.
"Je le respecte. Je suis lucide"
Il y a quelques semaines, Emmanuel Macron s'affichait en ami de Donald Trump, espérant peser sur le président américain, en vain. Avec Vladimir Poutine, il joue sur un autre registre.
"Je le respecte. Je le connais. Je suis lucide", a déclaré Emmanuel Macron en parlant de son homologue russe sur la chaîne américaine Fox News le 22 avril. Avant d'avertir : "je crois que nous ne devrions jamais nous montrer faibles face au président Poutine. Quand vous êtes faibles, il s'en sert." Le chef de l'Etat français a appliqué ce principe il y a un an en disant ses quatre vérités sur les ingérences médiatiques ou les armes chimiques à un Poutine impassible sous les ors de Versailles.
- "Avant son élection, Emmanuel Macron a été la cible d'une campagne de dénigrement assez forte en Russie", rappelle Tatiana Kastouéva-Jean.
- "Il est désormais présenté comme un leader en Europe, l'homme d'Etat prometteur, réaliste et pragmatique, mais à la marge de manoeuvre limitée par rapport aux Etats-Unis et à l'OTAN. Les médias officiels emploient même le terme de 'vassalisation'".
A Moscou, où Vladimir Poutine vient d'entamer son quatrième mandat, l'attentisme prédomine un an après l'élection d'Emmanuel Macron.
"Il tente de positionner la France de nouveau comme une puissance mondiale. [...] S'il est sérieux, alors il y a de quoi discuter entre Poutine et Macron. S'il ne s'agit que de mots, alors Vladimir Poutine le comprendra très vite", avertit l'expert Fiodor Loukianov, président du Conseil pour la politique extérieure et de défense.
Grandeur contre grandeur
Quelques jours à peine après son élection, en mai 2017, le président français avait sorti le grand jeu pour recevoir le maître du Kremlin, en froid avec les Occidentaux depuis l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014. Le château de Versailles, la Galerie des Batailles, l'hommage à Pierre Le Grand, le tsar bâtisseur et ouvert sur l'Europe: rien n'avait été laissé au hasard pour flatter Vladimir Poutine et donner un nouveau lustre à la relation franco-russe, à grand renfort de symboles monarchiques.
Par un jeu de miroirs, Vladimir Poutine accueillera son homologue jeudi et vendredi dans l'ancienne capitale impériale et la plus européenne des villes de Russie, Saint-Pétersbourg.
"C'est le 'match retour' après Versailles" où Emmanuel Macron avait voulu prendre la main dans "le rapport de forces avec Poutine", analyse auprès de l'AFP le philosophe et spécialiste de la Russie Michel Eltchaninoff, auteur du livre "Dans la tête de Vladimir Poutine", que le président français a consulté, parmi d'autres experts, avant son déplacement.
"A Versailles, il s'agissait de jouer la majesté, la grandeur et même la profondeur historique face au maître du Kremlin pour l'impressionner et lui montrer que la France n'est pas ce pays oublieux de ses racines que Poutine veut suggérer".
Les deux hommes ne manquent pas de points communs. Ils ont surgi de nulle part sur la scène politique... et ils ont le même souci de replacer leur pays au centre du jeu international.
"Ils se ressemblent sur la volonté de réenchanter le rapport aux leaders politiques et de s'inscrire dans une longue durée de leur histoire", note Michel Eltchaninoff. Mais les sujets de friction sont aussi nombreux entre l'ancien banquier d'affaires et l'ex-agent secret.
"Quelqu'un qui vient de la banque, dans l'esprit de Poutine, c'est un oligarque. Cela ne lui inspire pas forcément confiance".
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