Marc Julienne : « L’affirmation de puissance du pouvoir chinois sur Hongkong vise à masquer ses faiblesses internes »
En donnant l’estocade au statut d’autonomie de la cité, la Chine montre un préoccupant excès de confiance en elle, analyse le chercheur dans une tribune au « Monde ».
L’Assemblée nationale populaire chinoise a voté, le 28 mai, la décision d’élaborer une loi sur la sécurité nationale à Hongkong. Celle-ci aura des effets bien plus profonds que le projet de loi sur l’extradition, abandonné depuis, qui avait provoqué des manifestations massives dans la région administrative spéciale en 2019. La future loi mettra en effet gravement en péril le statut autonome de Hongkong et aggrave d’ores et déjà un contexte social extrêmement volatil dans la cité, entre la population majoritairement prodémocrate et l’exécutif pro-Pékin.
Par cette réforme forcée de la loi hongkongaise, le Parti communiste chinois (PCC) espère reprendre et verrouiller le contrôle politique à Hongkong. Après le raz de marée prodémocrate des élections locales en novembre 2019 (dix-sept des dix-huit districts remportés, avec 71 % de participation), le pouvoir central chinois craint de se voir infliger une nouvelle défaite lors de l’élection législative de septembre 2020. Une majorité démocrate au Legislative Council (LegCo) de Hongkong serait inacceptable pour Pékin, car elle affaiblirait son influence et alimenterait le sentiment anti-PCC, déjà très ancré à Hongkong et à Taïwan.
Le projet de loi sur la sécurité nationale à Hongkong entre en contradiction avec le droit interne hongkongais et le droit international. Il viole d’abord la mini-Constitution de la cité (Basic Law), dont l’article 23 prévoit que la région administrative spéciale dispose de la compétence pour voter ses propres lois en matière de protection contre la sécession, la sédition et la subversion.
Atteinte à la sécurité nationale
Le projet de loi viole également la déclaration sino-britannique sur Hongkong de 1984, traité international enregistré à l’ONU organisant la rétrocession de Hongkong à la Chine. La République populaire de Chine (RPC) s’y engageait à accorder à Hongkong un « haut degré d’autonomie », notamment en matière législative, durant cinquante ans, à compter de la rétrocession, le 1er juillet 1997.
Le Président Xi Jinping a développé, depuis son arrivée au pouvoir, une conception personnelle et étendue de la « sécurité nationale ». Celle-ci repose avant tout sur la sécurité du pouvoir politique, donc du Parti communiste. Elle a d’ailleurs été entérinée dans la loi de la RPC sur la sécurité nationale, votée en 2015.
D’après cette conception, que Pékin veut appliquer à Hong Kong à travers la future loi, la moindre contestation à l’égard du PCC constituera une atteinte à la sécurité nationale. Plus crucial encore, le projet de loi prévoit aussi d’établir à Hong Kong une institution en charge de la préservation de la sécurité nationale, dépendant directement du gouvernement central communiste.
Par ces mesures interférentes dans le système politique de Hong Kong, Pékin rompt son engagement de 1984 à préserver les droits et libertés des Hongkongais et porte l’estocade au statut autonome de la cité.
Menace pour le Parti communiste
Les élections locales de novembre 2019 sont intervenues après six mois de contestation à Hong Kong. Alors que les autorités chinoises accusaient « une minorité d’éléments perturbateurs » et des « ingérences étrangères », les Hongkongais ont affirmé, par les urnes, leur attachement à la démocratie et à leur système politique.
La montée des forces démocrates à Hong Kong constitue intrinsèquement une menace pour le Parti communiste. Considérant que la contestation à Hong Kong menace l’unité et la sécurité nationales de toute la Chine, Pékin s’estime légitime à légiférer, avec ou sans l’approbation des législateurs hongkongais. Alors que le Parti déclare vouloir « sauver » Hong Kong et la Chine de l’instabilité et de la sédition, il cherche en réalité à se prémunir lui-même contre la contestation.
En revendiquant défendre le sacro-saint principe de « un pays, deux systèmes », Pékin feint de faire face à un mouvement sécessionniste qui mettrait en péril « un pays », et attaque par là-même la notion de « deux systèmes ». L’immense majorité des manifestants hongkongais revendiquent quant à eux défendre le principe de « deux systèmes », grignoté depuis plusieurs années par Pékin.
Avec cette loi, Pékin cherche à profiter de la faiblesse des Etats-Unis, submergés par la gestion de la crise du Covid-19, pour renforcer son emprise sur Hong Kong et accroître la pression sur Taiwan.
Le silence des Etats européens
Le projet de loi sur la sécurité nationale à Hong Kong vient s’ajouter à la longue liste des démonstrations d’affirmation de puissance de la Chine, en matière diplomatique et militaire, ces derniers mois. Cette assurance cache toutefois de nombreuses fragilités en Chine, qui se sont accentuées avec l’épidémie de Covid-19. L’économie chinoise, en particulier, entre dans sa plus grave crise depuis l’ouverture du pays amorcée par Deng Xiaoping à la fin des années 1970.
L’excès de confiance du pouvoir politique chinois vise deux objectifs : galvaniser le sentiment nationaliste en Chine, et masquer les faiblesses internes aux yeux de la communauté internationale.
Mais les faiblesses du régime n'en font pas un acteur moins menaçant pour autant. La Chine populaire demeure une grande puissance, inaccomplie mais redoutable, y compris sur le plan militaire, et profondément idéologique. Les risques qu'elle prend sur le plan international par excès de confiance doivent donc être considérés avec sérieux et fermeté par le reste de la communauté internationale. Le silence assourdissant des Etats européens est à ce titre des plus préoccupants.
Marc Julienne est chercheur, responsable des activités Chine au Centre Asie de l'Institut français des relations internationales (Ifri).
Lire la tribune sur le site du Monde.
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