Mark Zuckerberg prêche la bonne parole en appelant les États à réguler le secteur technologique
Le CEO de Facebook, Mark Zuckerberg, appelle une nouvelle fois à une mobilisation générale de la part des États pour enfin réglementer les activités des GAFAM dont il fait partie. Sous-entendu : les débordements constatés sur les plates-formes de ces entreprises auraient pu être évités si les acteurs étatiques avaient agi plus rapidement. Or, ce n'est pas si simple que ça.
"Je ne pense pas que les entreprises privées doivent prendre autant de décisions seules lorsqu'elles touchent à des valeurs démocratiques fondamentales", écrit Mark Zuckerberg, dans une tribune publiée le 16 février 2020 dans le Financial Times. Pour le CEO de Facebook, les grandes entreprises technologiques ont besoin d'être plus encadrées, quitte à être bloquées un temps par ces nouvelles normes. Mais "sur le long terme, ce sera bénéfique pour tout le monde, y compris pour nous" affirme-t-il.
Publication d'un livre blanc sur les contenus en ligne
"Nous avons besoin de plus de surveillance et de responsabilisation. Les gens doivent sentir que les plate-formes technologiques ont des comptes à rendre", affirme Mark Zuckerberg. Il reprend la même rhétorique que dans ses précédents appels à la réglementation. En mars 2019, il estimait que quatre domaines devaient être strictement encadrés : les élections, les contenus préjudiciables, la confidentialité et la portabilité des données. Dans cette tribune, il réitère cette demande et annonce la publication d'un livre blanc axé sur la modération des contenus en ligne.
Ce document constitue une sorte de "guide" pour les législateurs dans l'adoption d'une future réglementation. Selon Facebook, cinq principes devraient être respectés : l'incitation, la dimension internationale d'internet, la liberté d'expression, la technologie et la proportionnalité et la nécessité.
- "Je perçois deux choses dans la position de Mark Zuckerberg : il refile le dossier de la régulation aux États et pousse à une co-régulation dans laquelle les acteurs privés seraient à quasi égalité avec les acteurs étatiques", déclare Julien Nocetti, enseignant-chercheur associé à l'Institut français des relations internationales (IFRI), contacté par L'Usine Digitale.
Les États ont-ils été trop lents et passifs ?
Bernard Ourghanlian, directeur technique et sécurité chez Microsoft France avait tenu le même discours lorsque L'Usine Digitale l'avait interrogé au Forum International de la Cybersécurité (FIC) en janvier 2020. " L'appel à la réglementation, c'est surtout pour que nous sortions de cette espèce de rôle qui n'est pas le nôtre. On s'arroge des droits d'Etat. Microsoft n'est pas un Etat, nous n'avons jamais été élus et nous n'avons aucune légitimité pour interférer sur ces questions-là", nous expliquait-il.
Alors est-ce de la faute des Etats si les GAFAM dépassent certaines limites ? Mettent-ils trop de temps à légiférer ? Ce n'est pas si simple pour Julien Nocetti.
- "On ne peut pas dire que les Etats sont inactifs. Ils sont fluctuants, voire parfois indécis, mais surtout dépassés." Pour le chercheur, la problématique est beaucoup plus large : il est complexe pour les acteurs étatiques de réguler le champ technologique car "le temps du numérique est beaucoup plus rapide que le processus décisionnel des Etats".
Une opération séduction sans succès ?
De son côté, Louis Perez, chercheur à l'Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire et membre du Centre de recherche Thucydide, estime qu'il ne faut pas mettre tous les Etats dans la même case. Contacté par L'Usine Digitale, il explique que la position européenne reflète l'urgence pour l'Union de rattraper son retard technologique. "Elle essaye de se démarquer en tant qu'arbitre, indique le chercheur puis poursuit, les Etats-Unis, de leur côté, tiennent un double discours : il ne faut pas laisser le marché s'autoréguler mais en même temps il ne faut pas freiner l'innovation."
Conséquence de quoi, au lieu d'avoir des principes juridiques précis et opposables, les entreprises technologiques publient de grandes déclarations sans aucune sanction derrière. Or sans sanction, il est difficile de faire respecter des règles. "Dans certains cas, il peut même y avoir une incompatibilité entre un principe 'éthique' édicté par une entreprise technologique et le droit", déclare Louis Perez.
Le même jour que la publication de sa tribune, Mark Zuckerberg en tournée en Europe a rencontré Thierry Breton. Pour le commissaire européen au Marché Intérieur, les efforts déployés par Facebook pour répondre aux préoccupations européennes ne sont pas suffisants. "Ce n'est pas à nous de nous adapter à cette entreprise, c'est à cette entreprise de s'adapter à nous", a-t-il déclaré à l'issue de cette rencontre, d'après Reuters. Position similaire pour la vice-présidente de la Commission européenne Vera Jourova qui a répondu à la prise de position de Mark Zuckerberg : "Facebook ne peut pas rejeter toute responsabilité (…) Facebook et M. Zuckerberg doivent se poser une question et y répondre : qui veulent-ils être en tant qu’entreprise et quelles valeurs veulent-ils promouvoir ?”
Le contexte a changé aux États-Unis
- Cet nouvel appel à la réglementation intervient dans "un contexte bien particulier", précise Julien Nocetti. "Aux Etats-Unis, Facebook subit des tirs nourris des camps républicain et démocrate sur ses pratiques, au-delà des polémiques assez classiques comme la propagation des fake news. De vives critiques surgissent sur la dimension concurrentielle", poursuit-il.
Le 11 février 2020, la Federal Trade Commission (FTC) a annoncé l'ouverture d'une enquête sur les multiples acquisitions d'Alphabet (maison-mère de Google), Apple, Facebook, Amazon et Microsoft sur les dix dernières années. L'autorité de régulation souhaite déterminer si ces opérations ont engendré des comportements antitrust.
La pression s'intensifie également avec l'approche des élections présidentielles prévues en novembre 2020. Pas question de revivre le précédent de Cambridge Analytica. "Facebook gagne tout à dénoncer les manipulations lors des élections et à accepter une régulation à ce sujet. Mais cette position peut également servir pour une négociation future. Facebook accepte de réguler sur ce sujet mais refusera de le faire sur les taxes par exemple", indique Louis Perez. "Il ne faut pas diaboliser Facebook, mais il ne fait pas que lutter pour le bien commun. Il a d'autres intérêts", conclut-il.
> Voir l'article sur le site de L'Usine digitale
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