Menace nucléaire russe : Poutine ne compte pas attaquer, mais "rappeler ses capacités de dissuasion"
La Russie a procédé, mercredi, à des tirs d'essai de missiles balistiques pour simuler une "frappe nucléaire massive" de riposte et révoqué sa ratification d’un traité interdisant les essais atomiques.
Vladimir Poutine agite à nouveau la menace du bouton rouge. Le président russe a supervisé, mercredi 25 octobre, des tirs de missiles balistiques lors de manœuvres militaires visant à simuler une "frappe nucléaire massive", en réponse "à une frappe nucléaire ennemie", selon les mots du ministre de la Défense, Sergueï Choïgou. Le même jour, la chambre haute du Parlement russe a approuvé la révocation de la ratification d’un important traité interdisant les essais atomiques. Ce vote intervient dans un contexte de tensions grandissantes entre Moscou et Washington, engagés dans une course aux armements alors que perdure la guerre en Ukraine. En février 2023, la Russie avait déjà décidé de suspendre sa participation à l’accord New START, dernier traité bilatéral liant les deux pays sur le contrôle des armements nucléaires, qui prévoit le plafonnement des ogives et bombes stratégiques déployées à 1 550. Le vice-ministre des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov, a indiqué que la reprise des discussions avec les Américains sur le renouvellement de ce traité, qui expire en 2026, était tout bonnement exclue "sans changement dans l'attitude profondément et fondamentalement hostile des États-Unis à l'égard de la Russie".
Pour analyser les risques de ces blocages entre les deux puissances, qui détiennent à elles deux près de 90 % de toutes les armes nucléaires existantes dans le monde, France 24 s’est entretenue avec Héloïse Fayet, chercheuse au Centre des études de sécurité de l’Ifri (Institut français des relations internationales) et coordinatrice du programme Dissuasion et prolifération.
France 24 : Ce n’est pas la première fois que Vladimir Poutine évoque le recours à l’arme nucléaire dans le cadre de la guerre en Ukraine. Cette menace doit-elle être prise au sérieux ?
Héloïse Fayet : Pour la Russie, évoquer la menace nucléaire est une manière de rappeler les capacités de dissuasion dont elle bénéficie lorsqu’elle se retrouve en difficulté sur le terrain. Les manœuvres auxquelles ont procédé l’armée mercredi ne sont pas les premières de ce type. C'est un exercice annuel et Moscou a bien pris soin de préciser qu’il s’agit de simuler un tir de riposte en cas de "frappe nucléaire ennemie". À mon sens, aucun signe ne permet de dire que le président russe pourrait déclencher l’arme nucléaire. La Russie considère le conflit en Ukraine comme un conflit local, or la dissuasion nucléaire permet justement d’éviter l’élargissement de ce type de conflit. L’utiliser serait totalement contre-productif.
Pouvez-vous nous expliquer les implications du Traité d'interdiction des essais nucléaires et pourquoi la Russie en a révoqué sa ratification ?
Ce traité interdit l’ensemble des essais nucléaires, y compris les essais souterrains, les seuls encore possibles du point de vue du droit international depuis l’accord de 1963 qui proscrit les essais nucléaires dans l'atmosphère, dans l'espace et sous l'eau. Néanmoins, il faut signaler que ce traité d'interdiction complète n’est pas encore entré en vigueur car il doit d’abord être ratifié par certains pays comme les États-Unis et la Chine. La Russie avait déjà menacé de se retirer pour se mettre à égalité avec la position américaine. C’est désormais chose faite, même si cette "dératification" est plutôt symbolique. Dans le contexte actuel de tensions accrues avec Washington, la Russie veut être prête, dans l’éventualité où les États-Unis conduiraient des tests, même si en réalité aucune des deux parties ne le souhaite. Pour la Russie, il s’agit plutôt d’un effet d’annonce visant à critiquer des normes considérées comme imposées par l’Occident. Car le tabou sur les essais nucléaires est toujours très important, personne ne veut y être associé, mis à part la Corée du Nord qui est le dernier pays à en avoir conduit.
Concernant l’accord New START, sur le contrôle des armements nucléaires, des négociations sont-elles encore possibles où l’accord est-il voué à expirer en 2026 ?
La Russie a déjà suspendu sa participation, on peut donc considérer que New START est enterré. Ce type de traité se négocie des années à l’avance et à l’heure actuelle il n’y a pas de discussions. La question de la maîtrise des armements est parasitée par les rivalités entre puissances, alors qu’elle devrait en être protégée. Elle pâtit des tensions entre Moscou et Washington mais aussi entre Washington et Pékin. La Chine ne veut pas rentrer dans ce type d’accord avec les États-Unis au moment où elle accroît, de manière très rapide, son arsenal nucléaire. Mais elle demeure encore derrière Washington et Moscou. Cet accroissement est essentiel du point de vue de Pékin pour affirmer son statut de première puissance mondiale. À l’inverse, les Américains, qui souhaitent limiter la puissance chinoise, y sont évidemment favorables. Pendant ce temps, les normes internationales de maîtrise des armements reculent. Toute l’architecture de désarmement, construite au cours de la Guerre froide, est en train d’être détricotée.
Depuis les attaques du Hamas en Israël, une nouvelle guerre a éclaté. L'État hébreu est la seule puissance régionale à posséder l’arme nucléaire. Pourrait-il envisager d’y avoir recours en cas d’embrasement ?
Tout d’abord, il convient de rappeler que la doctrine nucléaire israélienne est très particulière car l’État hébreu ne dément ni ne confirme posséder cette arme, bien que l’on sache qu’ils l’ont. Ensuite, posséder l’arme nucléaire sert avant tout à dissuader un autre État d’utiliser la sienne. Son rôle est donc très décalé par rapport à la situation de conflit vis-à-vis du Hamas, qui n’est pas un État et ne possède bien sûr pas cette arme. De plus, un emploi sur un territoire aussi petit que la bande de Gaza est complètement inenvisageable car bien trop dangereux pour Israël. Son utilisation paraît hautement improbable dans le cadre de ce conflit, même si celui-ci était amené à s’étendre.
> Un entretien à retrouver sur le site de France 24.
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