Néonazi, populiste ou d'extrême droite... Comment qualifier l'AfD, le sulfureux parti politique allemand ?
Les représentants d’Alternative für Deutschland ont réalisé un bon score lors d’élections régionales dimanche en Saxe et au Brandebourg. Ce parti est proche de l’extrême droite et suscite régulièrement la polémique. Faut-il le comparer pour autant aux néonazis du parti NPD ?
L’Alternative pour l’Allemagne (« Alternativ für Deutschland » en allemand, AfD) est devenue un parti établi outre-Rhin après avoir fait son entrée en 2018 au Bundestag, l’équivalent de l’Assemblée nationale. Il réalise régulièrement des percées électorales dans les régions de l’est du pays, comme le week-end dernier en Saxe.
Aucun parti traditionnel n’est prêt à s’allier avec ce parti sulfureux à la ligne anti-migrants. Mais comment le classifier ? Un parti néonazi à l’instar du NPD ? Un populisme de droite ? Un parti d’extrême droite traditionnel ?
Selon Hans Stark, secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l’Institut français des relations internationales, il est « néonazi à la marge et d’extrême droite oui… mais partiellement », explique-t-il. « C’est un parti composite qui réunit des éléments d’extrême droite et des éléments conservateurs nationalistes, mais qui est encore dans le spectre politique républicain », précise-t-il.
Du parti des professeurs à un discours anti-migrants
À sa création, l’AfD est classée comme parti libéral et eurosceptique de droite. Il a été fondé en 2013 par trois anciens de la CDU : Bernd Lucke, un économiste, Konrad Adam, un ancien journaliste auteur de plusieurs essais sur l’impuissance du Parlement et Alexander Gauland, issu de l’aile conservatrice du parti. Son discours était surtout centré sur la critique de l’euro.
« Il s’est transformé en un parti conservateur nationaliste dur », explique Hans Stark. Avec la crise migratoire et l’accueil de milliers de réfugiés en Allemagne, la montée en puissance du mouvement anti-Islam Pegida marque un changement pour ce parti. « Au début, les dirigeants de l’AfD ont dit qu’ils ne voulaient pas de lien avec les dirigeants de cette mouvance car ils étaient trop radicaux à leurs yeux », rappelle Hans Stark. Mais la consigne n’a pas été respectée au sein du parti. Cela a correspondu à un changement de ligne politique et à la prise de pouvoir de Frauke Petry au détriment des fondateurs du parti. Le discours change alors totalement pour se concentrer sur le rejet des migrants et de la politique d’Angela Merkel.
Mais la guerre des chefs continue et aboutit à la cuisante défaite de Frauke Petri à son tour lors du congrès de l’AfD en 2017. Sa motion destinée à empêcher une dérive vers l’extrême droite n’est même pas examinée par les instances du parti. Alexander Gauland, figure de proue des radicaux de l’AfD, prend alors le pouvoir. Apprécié de la base, il est un habitué des sorties polémiques, comme lorsqu’il s’en prenait en 2016 au joueur noir de l’équipe nationale de foot, Jérôme Boateng.
Ambivalences sur le régime nazi
En 2017, ce dirigeant de l’AfD crée un scandale à quelques jours des élections législatives d’octobre en saluant les « performances de l’armée nazie » durant la Seconde Guerre mondiale. Le chef de file du parti nationaliste estime que « si les Français ont le droit d’être fiers de leur Empereur (Napoléon) et les Britanniques de (l’amiral Horatio) Nelson et du (Premier ministre Winston) Churchill, alors nous avons le droit d’être fiers des performances des soldats allemands durant la Seconde Guerre Mondiale ».
Plus tôt dans l’année, il avait également minoré l’importance du IIIe Reich, jugeant qu’Adolf Hitler et les nazis n’avaient été que du « pipi de chat » (« fiente d’oiseau » littéralement en allemand, N.D.L.R.) dans une histoire germanique millénaire. Son discours devant une organisation de la jeunesse de son mouvement avait été très applaudi. « Nous avons une histoire glorieuse et celle-ci, chers amis, a duré plus longtemps que ces 12 fichues années » entre 1933 et 1945.
Autre polémique en janvier 2019, un responsable de la région de Thuringe, Bjorn Hocke a déploré l’existence à Berlin d’un mémorial « de la honte » rappelant l’Holocauste et demandé qu’on cesse de se focaliser sur le passé nazi du pays. « Jusqu’à ce jour, notre état d’esprit est celui d’un peuple totalement vaincu […] Nous Allemands, notre peuple, est le seul peuple au monde qui a planté au cœur de sa capitale un monument de la honte », avait déclaré Björn Höcke lors d’un événement, comme le montre une vidéo mise en ligne, faisant référence au célèbre monument inauguré en centre-ville de Berlin en 2005.
Il demandait également que soient reconnus comme « crimes de guerre » les bombardements alliés durant la Seconde Guerre mondiale, comme cela fut le cas pour la ville de Dresde qui avait été presque rasée… Une demande récurrente des néonazis allemands.
Un parti puissant dans l’ancienne RDA
En août 2018 à Chemnitz, ville moyenne de Saxe dans l’ex-RDA communiste, a lieu un meurtre perpétré par un Syrien. Quelques heures après cet homicide, un millier de hooligans et de néonazis se rassemblent dans la ville, une manifestation émaillée de violences xénophobes. Des vidéos amateur tournées ce jour-là ont montré des étrangers insultés et pris en chasse dans la rue. Ces images ont alors provoqué une onde de choc en Allemagne et fait le tour du monde. Le mouvement Pegida et l’AfD se sont retrouvés en tête des manifestations contre les migrants pour dénoncer les supposées conséquences de la politique migratoire de la chancelière Angela Merkel.
Mais au-delà de cette affaire, les résultats des élections législatives et européennes ont montré que le parti réalisait ses meilleurs scores dans les régions de l’ancienne RDA, se plaçant en seconde position derrière la CDU. Dimanche 1er septembre, l’Alternative pour l’Allemagne a obtenu 22,8 % dans le Brandebourg, le Land qui entoure Berlin, contre 12,2 % en 2014, et 27,5 % en Saxe, dans le Sud-Est (9,7 % en 2014). Les sociaux-démocrates du SPD et les conservateurs de la CDU ont convenu de ne pas nouer d’alliance avec ce parti.
Ces bons résultats à « l’Est » ne se reproduisent pas à « l’Ouest », dans l’ancienne RFA (République Fédérale d’Allemagne). Le parti n’arrive pas à percer autant que prévu. Par exemple en Bavière en octobre 2018, le parti fait certes son entrée au parlement régional, mais reste loin de faire jeu égal avec la CSU, le parti frère de la CDU de Merkel.
Au final, l’AfD possède une base électorale populaire dans les Länder de l’Est, où nombreux sont ceux qui se sentent délaissé par l’État depuis la réunification. « Ils profitent d’un climat de décrochage économique, de frustrations et de rejet de l’Islam », résume Hans Stark.
Pas un parti néonazi pour autant
Mais si le parti AfD est clairement passé du populisme eurosceptique à l’extrême droite aujourd’hui, il n’est pas considéré outre-Rhin comme un parti néonazi comparable au NPD. « On a vu entrer dans l’AfD des dirigeants politiques qui ont fait une partie de leur parcours politique au sein du NPD et qui ont pignon sur rue au sein du parti, notamment dans la partie orientale de l’Allemagne », constate Hans Stark. « Il y a même désormais dans l’AfD un courant proche du courant identitaire qui s’appelle "l’aile", die Flügel en allemand. » Pour autant, « ce qu’on reproche surtout à ce parti est surtout de ne pas faire barrage en son sein aux éléments néonazis. »
Le mouvement néonazi allemand va en réalité au-delà des thématiques traditionnelles de l’extrême droite et célèbre le souvenir du régime mis en place par Hitler. Fondé en 1964, le « Nationaldemokratische Partei Deutschlands » (NPD) est toujours considéré par l’essentiel de la classe politique allemande comme le réceptacle pour des groupuscules néonazis tentés par la violence antisémite et xénophobe.
Il a même été menacé d’interdiction en 2003 et 2017, mais les enquêtes menées au niveau du Bundesrat, la chambre haute du Parlement, n’avaient pas abouti. Il y a deux ans, la Cour constitutionnelle fédérale avait rejeté la demande d’interdiction. Du fait de sa faible audience – moins de 6 000 membres —, le NPD ne représentait pas une menace pour les fondements de la république fédérale, selon les juges, pour qui le comportement de ses militants, certains violents, ne constituait pas « un problème constitutionnel, mais un problème à traiter par la police et la justice ».
>> Lire l'article sur le site d'Ouest France.
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