Nucléaire iranien : Avec un uranium enrichi à 60 %, l'accord pourrait « être mort »
Le gendarme du nucléaire sermonne, l’Iran riposte. Ces derniers jours, la tension est montée d’un cran entre l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et Téhéran. Face aux critiques sur « son manque de coopération », cette dernière a annoncé avoir commencé, ce mardi, la production d’uranium à 60 % et qu’elle allait limiter les visites des inspecteurs de l’agence onusienne sur son territoire. La décision del a République islamique inquiète la communauté internationale, qui n’a pas manqué de réagir. Mais alors qu’il fait face aux révoltes internes dues aux manifestations liées à la mort de Mahsa Amini, l’Iran semble déterminé à avancer sur le nucléaire. 20 Minutes fait le point avec Héloïse Fayet, chercheuse spécialiste des doctrines de prolifération nucléaire.
Que s’est-il passé ce mardi en Iran sur le volet nucléaire ?
Jeudi 17 novembre, l’AIEA a pris une résolution contre le pays perse, lui reprochant son « manque de coopération » en matière nucléaire. L’agence onusienne avait déjà émis des critiques cet été, pour le même motif. « Nous avons dit que les pressions politiques ne changent rien et que l’adoption d’une résolution (à l’AIEA) suscitera une réaction sérieuse », a affirmé mardi le chef de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique (OIEA), Mohammad Eslami, tout en annonçant la production « d’uranium enrichi à 60 % » dans l’usine de Fordo.
Ce seuil de 60 % dépasse largement celui de 3,67 % fixé par l’accord de 2015 (JCPOA) entre Téhéran et les grandes puissances visant à empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire. La République islamique se rapproche ainsi dangereusement du seuil des 90 % d’uranium enrichi, palier à atteindre pour produire cette arme de dissuasion ultime.
« Le dossier nucléaire iranien est cyclique, voire escalatoire : c’est une dynamique sans fin entre l’AIEA qui critique les avancées de l’enrichissement et appelle à de nouvelles sanctions et l’Iran qui réagit en poursuivant son programme, parfois d’une façon véhémente », analyse Héloïse Fayet.
Une nouveauté, tout de même : la reconnaissance publique par l’Iran d’enrichir l’uranium à 60 %.
Que peut faire l’Iran avec cet uranium enrichi à 60 % ?
Aujourd’hui, l’Iran dispose d’une réserve de 386,4 kilos d’uranium à 20 % pour « des applications civiles ou militaires » et de plus de 60 kilos d’uranium enrichi à 60 %.
« Le temps nécessaire pour passer d’un enrichissement de 60 % à 90 % est beaucoup plus faible, par rapport à l’opération qui consiste à enrichir de 20 à 60 %. Plus vous avez d’uranium enrichi, plus il est facile d’augmenter l’enrichissement », explique à 20 Minutes Héloïse Fayet, également directrice d’un programme de recherche baptisé « Dissuasion et prolifération ».
Avec leurs provisions, les Iraniens peuvent constituer une tête de bombe ou de missile nucléaire. Mais obtenir un uranium de qualité militaire (90 %) n’est pas une condition suffisante pour utiliser immédiatement cette arme.
« La militarisation de la charge nucléaire, c’est-à-dire la mettre sur un missile et envoyer ce dernier précisément sur votre cible, est un processus qui peut prendre plusieurs années », tempère Héloïse Fayet.
Pas de menace immédiate donc, mais la vigilance est de mise. Car la surveillance d’un processus d’enrichissement est plus simple à contrôler que la phase finale, celle de la militarisation de la tête. Dans son arsenal, Téhéran dispose de missiles Khoramshahr, qui pourraient (à l’avenir) transporter une tête nucléaire et dont la portée maximale se situe autour de « 2.000 kilomètres ». L’arme ne permettrait donc pas de toucher les Etats-Unis, grand ennemi du pouvoir iranien. En revanche, Israël, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, rivaux régionaux de Téhéran, pourraient se retrouver sous cette menace.
La reprise d’un dialogue entre l’Iran et les Occidentaux est-elle envisageable ?
Sur le dossier du nucléaire, le fossé entre l’Iran et l’Occident s’élargit de jour en jour. Les nations occidentales n’ont pas manqué de répondre aux annonces de Téhéran. « La décision de l’Iran d’accroître sa production d’uranium hautement enrichi sur le site d’enrichissement souterrain de Fordo est particulièrement préoccupante », ont condamné mardi Londres, Paris et Berlin. Le même jour, la Maison-Blanche a exprimé sa « profonde préoccupation » face à la « progression » du programme nucléaire iranien.
En 2015, le JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action ou Plan d’action global commun) signé entre Téhéran, les cinq membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU (Russie, France, Chine, Royaume-Uni, Etats-Unis), l’Allemagne et l’Union européenne a défini un cadre : limiter le programme nucléaire iranien en échange d’une levée des sanctions économiques à l’encontre de Téhéran. Sauf qu’en 2018, les Etats-Unis de Donald Trump sont sortis de l’accord.
« Personne n’osera dire officiellement que l’accord est mort, mais il n’y a quasiment plus aucune chance de revenir à la table des négociations à court terme », tranche Héloïse Fayet.
D’autant que la guerre en Ukraine a fini de séparer les protagonistes. L’exclusion de la Russie de la communauté internationale a renforcé un sentiment anti occidental du pouvoir iranien, allié du Kremlin. Avec le conflit ukrainien, les différents acteurs n’ont également plus le temps d’œuvrer au retour des négociations. Et, enfin, l’attitude de Téhéran face aux inspections de l’AIEA exacerbe aussi les tensions (destruction de caméras de surveillance, restrictions des contrôles, etc.).
« Depuis qu’elles ont repris en 2021, on n’a jamais été à un stade aussi fermé des négociations », résume Héloïse Fayet. Reste qu’il n’y a pas encore de ligne rouge clairement affichée dans ce dossier, mais si l’Iran atteint un enrichissement à 90 %, les Etats-Unis ou d’autres pays comme Israël réagiront « diplomatiquement voire militairement », prédit notre experte.
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