Pas encore de solution miracle pour les europhiles de l’UE
De Bruxelles à Londres en passant par Berlin, l’élection du président français avait créé un élan d’espoir parmi les pro-Europe, mais l’absence de résultats se fait sentir.
Europhile engagé, antipopuliste affirmé, solidaire revendiqué, Emmanuel Macron se pose en rempart face à la montée des gouvernements autoritaires. Comment ce combat est-il perçu sur le continent ? Cet engagement est-il compatible avec une ligne libérale assumée ? Tour d’horizon, des institutions à Bruxelles en passant par Berlin, Madrid, Londres, ou encore Madrid.
Vu de Bruxelles, le défi des européennes
Emmanuel Macron manie le verbe européen à l’instar d’un François Mitterrand et d’un Helmut Kohl, ce qui fait se pâmer le tout Bruxelles. Et personne n’a oublié qu’il a terrassé l’hydre europhobe Marine Le Pen, drapeau européen au poing. Mais au-delà, il est bien seul tant sa stratégie européenne apparaît pour le moins brouillonne. Car se poser en tête de file des europhiles et des défenseurs intransigeants des valeurs européennes, un rôle que Viktor Orbán, le Premier ministre conservateur hongrois, et Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur d’extrême droite italien, rêvent de lui voir endosser, ne suffira pas à gagner les européennes. Et encore moins à lui assurer un groupe politique au sein du Parlement européen, clé de toute stratégie d’influence. « On peut comprendre que Macron veuille répéter l’opération qui lui a permis de gagner la présidentielle en agrégeant autour de lui toutes les forces proeuropéennes et progressistes, mais sa stratégie est risquée au niveau européen », analyse un haut fonctionnaire du Parlement. En effet, le clivage entre europhobes et europhiles qui transcenderait en partie le clivage gauche-droite n’existe pas partout. « Par exemple, poursuit cet eurocrate, en Espagne et au Portugal, il n’y a pas de parti eurosceptique. Si on transforme l’élection européenne en référendum pour ou contre l’Europe, on va y créer une offre extrêmement dangereuse. »
Le piège est d’autant plus grand que cela donnerait aux citoyens l’impression qu’il faut accepter l’Europe telle qu’elle est, c’est-à-dire avec les politiques mises en œuvre par les conservateurs du Parti populaire européen (PPE), qui dominent le jeu depuis vingt ans. Ainsi, le référendum français de 2005 sur le traité constitutionnel européen a montré qu’un choix binaire donnait un coup de fouet aux partis eurosceptiques et europhobes, de droite comme de gauche, qui apparaissent comme la seule alternative possible à une Europe dont on ne partage pas les orientations. En Allemagne, cela donnerait le beau rôle à l’AfD, le parti xénophobe qui se poserait en seul défenseur d’une «autre Europe». En Hongrie ou en Italie, Orbán et Salvini n’attendent eux aussi que cela. Le Belge Guy Verhofstadt, patron Macron-compatible du groupe libéral du Parlement européen, estime, lui, que l’affrontement contre les démagogues europhobes est le meilleur moyen d’affaiblir le PPE en mettant le doigt sur ses contradictions. C’est un regroupement à large spectre : il va des socio-chrétiens luxembourgeois, assez proches de la social-démocratie, au Fidesz d’Orbán, qui a théorisé l’illibéralisme, en passant par le Parti populaire autrichien (ÖVP) allié au Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ, extrême droite). Verhofstadt, tout comme Macron, espère faire voler en éclats le PPE en l’empêchant de faire alliance avec les populistes. Eux ne sont pas pour une remise en cause de l’Etat de droit, comme la Ligue de Salvini « qui n’hésitera pas à lâcher sa copine Marine qui, elle, restera infréquentable à jamais », s’amuse un conseiller politique libéral. A partir du moment où on est allié avec Orbán, il est vrai que Salvini peut ne pas paraître si terrifiant que cela…
Reste que le rêve de Macron de constituer un groupe pivot autour d’En marche s’est évanoui à cause de son indécision. Il a mis un an à recevoir Verhofstadt (fin juillet), qui était pourtant prêt à faire exploser son groupe pour rejoindre En marche. Il a aussi refusé de proposer une alliance au Mouvement Cinq Etoiles qui désormais colle à la Ligue, a laissé dériver Ciudadanos sur une ligne encore plus dure que celle du Parti populaire sur la question catalane, ce qui a ouvert un espace inespéré aux socialistes espagnols… Aujourd’hui, mis à part le Parti démocrate italien en chute libre, on ne voit plus très bien avec qui il pourrait constituer un groupe qui compte, sauf à espérer qu’une partie du PPE renâcle à une alliance avec les populistes. Résultat : pour les européennes de mai, En marche sera sans doute réduit à n’être qu’une force d’appoint du groupe libéral de Verhofstadt, qui ne lui fera pas de cadeau après avoir été malmené par Macron. Bref, Macron l’europhile risque bien, faute de troupes, d’être réduit à l’impuissance.
Vu de Madrid, après l’euphorie, la retenue
Lorsqu’en mai 2017 Emmanuel Macron est élu à la présidence de la République, l’immense majorité des Espagnols poussent un énorme soupir de soulagement : la représentante du populisme d’extrême droite, une sensibilité politique inexistante dans leur pays, est écartée du pouvoir. Mais pas seulement : l’avènement du leader d’En marche est aussi perçu comme le retour d’une certaine « grandeur à la française », objet de sentiments contradictoires, allant du ressentiment (l’invasion napoléonienne au XIXe siècle reste présente dans les esprits) à l’admiration face à une nation unie, sûre de son destin derrière son charismatique leader.
Si bien qu’aujourd’hui, un an et demi plus tard, le constat que le même Macron est impopulaire, qu’il est assailli par moult scandales ou revers politiques, provoque la perplexité générale. « Il est sidérant de voir comment celui qui avait si bien su bâtir son image d’homme providentiel, tant pour la France que pour l’Europe, apparaît désormais comme une figure fragile, chahutée, trop humaine », résume un éditorial du quotidien conservateur ABC.
Dans ce pays, un des rares du continent à conjuguer un sentiment proeuropéen majoritaire, l’absence de forces montantes d’extrême droite et un débat serein sur l’immigration illégale par la Méditerranée, le président français est largement associé à la défense d’une Europe ouverte et tolérante. « La force de Macron est d’avoir dessiné une frontière clivante entre deux camps dans l’Union européenne, celui qui veut se refermer, assailli par la peur de l’autre et le sentiment de pouvoir perdre ses acquis ou privilèges ; et, de l’autre, celle qui veut davantage d’Europe », souligne l’analyste Jesus Torquemada. Cette tendance est reflétée par le panorama politique. Les trois leaders nationaux en vogue, dont les âges avoisinent celui du président français, soutiennent la politique europhile de Macron. Aussi bien le nouveau chef de file conservateur, Pablo Casado, l’homme fort de Ciudadanos, Albert Rivera (que beaucoup surnomment le « Macron espagnol »), que le chef du gouvernement socialiste, Pedro Sánchez. Ce dernier se montre favorable aussi à une politique commune migratoire et de défense.
Pour autant, principalement à gauche, beaucoup se montrent circonspects sur les capacités et le profil de Macron à incarner le sauveur d’une Europe menacée de désintégration par les forces populistes. Dans un article intitulé « la Fatigue de l’Occident », le politologue Fernando Vallespín se montre pessimiste sur les aptitudes du chef de l’Etat français à contrer « le dramatique onanisme identitaire » dont souffrirait l’Europe. Pour d’autres, la faiblesse de Macron tient précisément au fait qu’il mènerait une politique libérale, favorable aux riches. « Le phénomène Macron naît de la distorsion du système de gouvernance en Europe, mais il ne peut servir de digue parce qu’il a adopté les rituels et les politiques favorables aux pouvoirs hégémoniques », dit à Libération le philosophe et journaliste Josep Ramoneda. Et de conclure : « Acteur de la dérégulation, de la flexibilisation et de la privatisation, Emmanuel Macron ne peut qu’accroître la fracture sociale, et donc le repli national. »
Vu de Berlin, Macron comme modèle
« Qui pour sauver l’Occident ? Il y va de la liberté et de la démocratie. Macron a besoin d’aide, et pourtant l’Allemagne fait défaut », se désolait Der Spiegel en avril, avec en couverture une illustration de Macron faisant un clin d’œil, extincteur à la main - sur lequel est dessiné le drapeau européen. On le voit menacé, mais pas effrayé par les flammes d’un Donald Trump rugissant. A ses côtés, Angela Merkel regarde ailleurs, l’air pleutre. Cinq mois plus tard, cette image résume encore fidèlement la situation. Que ce soit face à Trump ou aux gouvernements populistes au pouvoir en Europe, le président français bénéficie encore d’une image positive en Allemagne. « Il a toujours été vu comme un modèle, analyse Jan Techau, directeur du programme Europe du German Marshall Fund à Berlin. Il est perçu depuis son élection comme celui qui a su faire rempart contre le populisme dans son pays, tout en étant centriste et proeuropéen. Les Allemands se sont dit que c’était la bonne recette. »
En outre, le volontarisme de Macron en matière de politique européenne les séduit. Mais ils ne vont pas jusqu’à le considérer comme celui qui sauvera le continent de la montée des populismes. « Il est certes vu comme un contrepoids. Mais les Allemands ne sont pas convaincus qu’il parviendra à renverser la vapeur », commente Leopold Traugott, analyste au sein du think tank Open Europe.
- « Ceux qui adhèrent pleinement à une UE forte le voient comme le porte-drapeau d’une Europe qui ne se renie pas ; mais ils ne sont pas majoritaires. Certes, il existe ici un consensus global proeuropéen. Mais si l’on creuse un peu, c’est-à-dire dès qu’on parle de solidarité financière, les Allemands s’en détournent », renchérit Hans Stark, secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes à l’Institut français des relations internationales (Ifri).
« Macron est perçu dans le pays principalement par le prisme de la réforme de la zone euro », résume Leopold Traugott.
De ce point de vue, le bilan est mitigé. Berlin a répondu tardivement et timidement aux propositions de Macron. Il faut dire que le contexte politique allemand ne se prête pas à de grands élans réformateurs. Merkel, dont c’est le dernier mandat, est fragilisée.
- En outre, « sa politique d’ouverture en 2015 a renforcé les populismes en Europe », dit Hans Stark. Prudente, la chancelière s’est mise en retrait sur bien des sujets. Un an après l’arrivée de l’AfD au Bundestag, l’Allemagne n’a pas trouvé de stratégie pour lutter contre le populisme sur son territoire. Et en Europe ? Si pour Berlin, la France reste un partenaire de premier ordre, les deux pays n’ont pas les mêmes priorités. « Le discours européen de Macron est centré autour de la réforme de la zone euro et la promotion d’une Europe de la défense et de la sécurité, analyse Hans Stark. De leur côté, les gouvernements populistes sont obsédés par la question des réfugiés. Mais là-dessus, Macron ne donne pas de réponses. Il n’est donc pas d’une grande aide pour Merkel. Le vrai problème est que lorsque la France parle de solidarité en Europe, elle veut dire : réformes économiques et financières. En Allemagne, cela signifie plutôt : comment répartit-on les réfugiés ? » Ces divergences rendent ainsi le « couple franco-allemand » peu audible face aux attaques de gouvernements populistes et eurosceptiques.
Vu de Londres, le seul prisme du Brexit
« Non ! Non ! Non ! » hurlait mercredi sur sa une l’Evening Standard, quotidien londonien. Cette indignation, en français, illustrait une interview de la ministre française en charge des Affaires européennes, Nathalie Loiseau. Laquelle explique que non, le président Emmanuel Macron n’a pas changé et soudainement adopté une approche conciliante vis-à-vis du Brexit. «Je lis quotidiennement la presse britannique et parfois je me demande si nous vivons dans le même monde», souligne la ministre. Depuis un peu plus de deux ans, le Royaume-Uni est exclusivement analysé et commenté à travers le seul prisme du Brexit. Y compris le président Macron. Juste avant le scrutin, ce dernier avait fait l’objet d’un intérêt accru alors que la probabilité de son élection augmentait. Mais peu d’observateurs au Royaume-Uni le donnaient vainqueur. Son discours foncièrement proeuropéen, à l’inverse de l’ensemble des autres candidats, avait fait ricaner. Pour beaucoup, la tendance du populisme avait été enclenchée avec l’élection de Donald Trump, elle s’était poursuivie avec le vote en faveur du Brexit et, forcément, elle allait continuer avec l’élection en France d’une populiste d’extrême droite, comme Marine Le Pen. D’où une vraie surprise au moment de son élection. Etonnement renforcé depuis par la continuité de son engagement en faveur de l’Europe.
Si les péripéties de son mandat et sa baisse de popularité sont suivies avec attention, c’est son empreinte internationale qui intéresse les Britanniques. L’intérêt est d’autant plus fort que le sentiment d’un retour d’influence internationale de la France, ou sa perception, s’accompagne en parallèle d’une impression de perte d’un certain prestige britannique lié au chaos du Brexit. La Première ministre, Theresa May, empêtrée dans ses négociations, étranglée par les divisions de son parti et une majorité fragile, n’a prononcé aucun discours géopolitique récent, si ce n’est pour parler du Brexit. Du coup, les interventions d’Emmanuel Macron sont écoutées et, parfois, jalousées. En mai, Philip Collins, éditorialiste du Times titrait une de ses tribunes : « Macron, l’antidote populiste au populisme ». Un nouveau parti politique, le Renew Party (le « parti du renouvellement »), a même été lancé sur le modèle d’En marche, avec comme seul objectif de stopper le Brexit. Son retentissement n’a, pour le moment, pas été le même. Face à une Angela Merkel affaiblie, Emmanuel Macron est perçu au Royaume-Uni comme celui qui détient les clés d’un Brexit positif pour le Royaume-Uni. Mais, chez les brexiters les plus idéologiques, on guette aussi avec attention le moindre faux pas du président français, comme si son échec éventuel sur la scène européenne pouvait, d’une certaine manière, justifier un peu plus leur décision.
- Analyse par Jean Quatremer, (à Bruxelles), François Musseau, (à Madrid), Sonia Delesalle-Stolper, (à Londres) et Johanna Luyssen, (à Berlin).
Lire l'article sur le site Libération.
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