«“Résilience”, vous avez dit “résilience”?» La tribune de Guillaume Lasconjarias
« En nommant cette opération “Résilience”, on donne en réalité un signal ambigu voire contradictoire »
« Opération résilience » : derrière la rhétorique guerrière et martiale, le choix d’un tel nom par le ministère des Armées laisse songeur. En premier lieu, parce que le terme de résilience représente l’exemple même d’un concept mis à toutes les sauces, et qui chemine d’un champ à un autre. Emprunté à la physique des matériaux, le concept est passé à l’écologie d’abord puis à la psychologie, avant de coloniser le domaine de la sécurité et de la défense. A chaque fois, il désigne la capacité, d’un individu, d’une communauté ou d’une infrastructure, à retrouver son fonctionnement normal après une période de tension extrême.
Ensuite, parce que le concept ne signifie pas la même chose pour tout le monde. Prenons le cas des armées. A tous les échelons, la résilience pourrait être vue comme la capacité à pouvoir poursuivre son activité opérationnelle, quelles que soient les conditions et les contraintes. Dit autrement, une capacité à travailler en mode dégradé, à s’adapter aussi, au mieux, à un environnement incertain, où les risques et les menaces sont protéiformes – ce dont les forces armées témoignent dans leur quotidien, en opération.
Enfin, si l’on se replace dans un contexte plus large, la résilience n’est pas le propre des armées, mais la volonté et la capacité de l’ensemble de la société, des services publics et de la population, à résister aux conséquences d’une agression ou d’une catastrophe majeure – selon ce qu’en dit le Livre blanc sur la défense et sécurité nationale de 2008 déjà.
En nommant cette opération « Résilience », on donne en réalité un signal ambigu voire contradictoire. Qu’on demande aux armées de renforcer, soutenir, et appuyer les autres services publics, soit. Après tout, il existe un cadre d’intervention sur le théâtre national et ce n’est pas la première fois que les forces seront engagées. Mais on fait porter sur ces armées un poids supplémentaire alors qu’années après années, mandatures après mandatures, on n’a cessé d’opérer des coupes sombres en taillant le costume au plus juste. La résilience ne se décrète pas, elle doit correspondre à ce que la nation souhaite faire comme effort pour s’adapter.
Il ne s’agit pas seulement de faire de la gestion de crise, de préparer des plans, de vérifier les stocks et les surplus. Cela sera fait, on l’espère et on l’imagine, et l’on en tirera les leçons nécessaires, à tous les niveaux, en matière de gouvernance, d’adaptation des structures… Mais la résilience est un état d’esprit, une façon de pouvoir, à un moment, serrer les dents, encaisser le choc, pour mieux repartir. Cela ne surgit pas ex nihilo, cela se forge dans le temps.
Autrefois, pour définir cette volonté collective, on évoquait l’esprit de défense, une prise de conscience des menaces et des dangers qui visent notre pays, nous mettent à l’épreuve et fragilisent la société et l’unité nationale. Cet esprit s’incarne dans le lien armées-nation, la compréhension du pourquoi une défense et contre quoi, ou contre qui. Mais où est-il passé, cet esprit ? Comment le raviver ? Il faut dépasser les simples symboles : l’opération « Résilience » témoigne du lien armées-nation en action, mais ne suffira pas si nous n’entamons pas un travail collectif pour être tous prêts.
Retrouver la résilience, c’est être intellectuellement armé. Cela commence à l’école, par un travail d’éducation et d’enseignement à la défense – qui existe dans les programmes. Cela doit se poursuivre par la valorisation de l’engagement, et peut-être est-ce la chance du futur Service national universel. Et cela doit irriguer les services publics comme le secteur privé, notamment quand il s’agit de fonctions essentielles à l’activité du pays. Être résilient, finalement, c’est être patriote.
Historien, spécialiste des questions de défense, Guillaume Lasconjarias est chercheur associé à l’IFRI. Il a été précédemment en poste au Collège de défense de l’Otan.
> Lire la tribune sur le site de L'Opinion
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