Sanctions contre la Corée du Nord : « La Chine est insatisfaite de l’accélération des essais nucléaires »
Les sanctions sont-elles une victoire pour les Etats-Unis – en raison de la rapidité de leur adoption – ou pour la Chine et la Russie, puisque ces deux pays ont réussi à en réduire la portée ?
Alice Ekman : Chaque pays a sa propre lecture de la résolution et insiste désormais, à la suite de l’adoption du texte, sur les éléments qui lui semblent les plus importants. Les Etats-Unis soulignent la sévérité des sanctions, et l’impact énergétique et économique pour la Corée du Nord, après avoir réussi à faire adopter un embargo partiel et progressif sur le pétrole et ses produits dérivés et total pour le gaz naturel.
Le porte-parole du ministère des affaires étrangères chinois met l’accent sur le dialogue et la consultation, alors que la Chine a négocié avec son partenaire russe le rajout au texte des paragraphes appelant à une « solution pacifique » du problème.
Selon la lecture, chacun peut considérer cette résolution comme une victoire. Dans les faits, le temps nous aidera à évaluer avec plus de précision la portée de ces sanctions. Car deux questions se posent toujours : celle de leur mise en application, par la Chine notamment, premier partenaire commercial de la Corée du Nord, et celle de leur efficacité, face à une Corée du Nord qui apparaît déterminée à développer coûte que coûte son programme nucléaire.
Peut-on parler d’un rapprochement entre les positions chinoises et russes sur la Corée du Nord ?
Oui, de plus en plus, les positions de la Chine et de la Russie sont alignées sur la question nord-coréenne, qu’il s’agisse de la communication officielle sur le sujet, des sanctions ou des propositions de solutions et de mécanismes de dialogues éventuels.
En particulier, les deux pays appellent au gel des exercices militaires conjoints Etats-Unis/Corée du Sud contre une suspension du programme nucléaire nord-coréen (proposition dite « suspension for suspension » ou « dual-track approach »).
Leurs positions sont également très proches concernant la Corée du Sud : les deux pays condamnent en termes très fermes le déploiement du bouclier antimissile américain THAAD (Terminal High Altitude Area Defense), et la Chine continue d’exercer des pressions économiques fortes sur certaines entreprises sud-coréennes en réaction.
Pékin a-t-il vraiment pris ses distances par rapport à son voisin nord-coréen ?
De manière générale, la Chine souhaite apparaître comme un acteur responsable, y compris par ses votes au Conseil de sécurité de l’ONU. Au-delà de l’image, sur le fond, la Chine est incontestablement insatisfaite de l’accélération des essais de son voisin nord-coréen ces derniers mois, à proximité de son territoire national, et le manifeste par son vote.
En même temps, il est nécessaire de remettre dans le contexte régional cette insatisfaction, et de la relativiser dans une certaine mesure : la Chine a également manifesté son insatisfaction face à certaines décisions et prises de position des Etats-Unis et de la Corée du Sud.
Ce matin, juste après l’adoption de la résolution 2375, la Chine a à nouveau appelé « toutes les parties » à assumer leurs responsabilités, et en premier lieu les Etats-Unis et la Corée du Sud, appelés spécifiquement dans les communications officielles à « éviter toute action qui pourrait compliquer la situation ».
Quel est l’objectif de la Chine à long terme ?
La Chine souhaite réorganiser la région Asie-Pacifique sur la base d’un système de partenariats dont elle serait au cœur, et non plus sur celle du système d’alliance de sécurité américain, qu’elle considère illégitime. Il s’agit d’un objectif de long terme voulu par Xi Jinping d’ici à 2050, et qui dépasse les aléas de la relation personnelle entre Xi Jinping et Donald Trump, ou de la gestion des relations bilatérales au jour le jour.
C’est avec cet objectif en tête, et alors que le sentiment antiaméricain demeure fort en Chine et que la rivalité sino-américaine s’est renforcée ces cinq dernières années, que Pékin aborde la péninsule coréenne. Ainsi, la Chine s’oppose à tout développement – tel que le déploiement de THAAD – qui contribuerait à consolider le système d’alliance américain, et continue de considérer la Corée du Nord comme un régime dont l’existence doit être préservée face à cette alliance.
Lire l'interview sur le site du Monde.fr
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