Thomas Gomart : "L'accélération de l'histoire est environnementale, technologique et stratégique"
L'invité du grand entretien est Thomas Gomart, historien, directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI), et auteur de “L’accélération de l’histoire. Les noeuds géostratégiques d’un monde hors de contrôle” (Tallandier).
Pour Thomas Gomart, directeur de l'Institut français des relations internationales (IFRI), l'accélération de l'histoire se matérialise dans trois détroits majeurs, ceux de Taïwan, d'Hormuz et du Bosphore. "L'idée du livre est née en mer de Chine", alors que l'historien avait embarqué à bord de la Lorraine, la dernière frégate française entrée en service.
"À un moment le commandant a décidé d'accélérer pour trois raisons : il fallait devancer un typhon, il fallait semer un bateau chinois et il fallait rejoindre un ravitailleur américain. J'ai vu dans cette décision le reflet d'une configuration géostratégique : l'accélération, elle est d'abord environnementale et technologique (...) et il y a aussi une accélération stratégique, au sens où il y a une multiplication des actions délibérées, intentionnelles, pour modifier le rapport de forces".
Les trois détroits sont des lieux majeurs du commerce. "On voit maintenant sur les flux commerciaux les effets des conflits : la mondialisation, fondamentalement, est une maritimisation", explique Thomas Gomart. Et ainsi à Taïwan, où la situation de tension avec la Chine est constante, et particulièrement en jeu lors des élections de ce week-end, le noeud est aussi démocratique que commercial : "Avec la numérisation du monde, tout devient données. Et cette transformation passe par les puces", explique-t-il.
"Si vous perturbez le détroit de Taïwan, les effets sur l'économie" seront majeurs.
Or peu de pays maîtrisent la fabrication des puces les plus puissantes et les plus précisuses : à eux trois, Taïwan, le Japon et la Corée du Sud produisent 80% du marche mondial. "Toute cette production transite par le détroit de Taïwan : si vous le bloquez ou si vous perturbez son fonctionnement, vous avez des effets sur l'économie mondiale autrement plus importants que ceux qu'on observe actuellement en mer rouge", explique-t-il. Or actuellement la situation à Taïwan est complexe parce que "depuis 1947 Taïwan a acquis une identité politique propre (...) et un système politique qui repose sur une alternance (...) En face, il y a la Chine, dont le projet idéologique est la réunification".
Thomas Gomart, répondant à la question d'une auditrice, Sylvie, précise que l'analyse de ces tensions et de ces conflits nécessite de ne pas oublier un point capital : la souffrance humaine.
"Il faut toujours le rappeler, les conflits, l'usage de la force, c'est tuer des gens et détruire des biens. On en parle parfois de manière abstraite, ethérée : en réalité, je pense que l'intérêt de ce métier, du travail qu'on fait, c'est précisément d'écrire l'arrière-plan que vous mentionnez tout en gardant le sens de la gravité des choses".
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