Une étude passe au crible les investissements (problématiques) dans la tech chinoise
Entreprises de reconnaissance faciale au service de la persécution des Ouïghours, logiciels à destination de l’armée chinoise… Au cours des dernières années, révèle une étude de l’Institut français des relations internationales parue le 3 juillet, plusieurs investisseurs américains, mais aussi européens, ont investi dans le secteur technologique chinois parfois au détriment des droits humains et des intérêts occidentaux. On vous la résume en trois points clés.
Loi visant à interdire TikTok aux États-Unis, fin de l’exportation de semi-conducteurs américains performants à destination de la Chine… Voilà plusieurs années que les nouvelles technologies sont au cœur des tensions sino-américaines. Un contexte tendu qui rend d’autant plus étonnants les investissements en provenance des États-Unis – mais aussi de l’Europe – dans la tech chinoise.
IA, biotechnologies, semi-conducteurs, mais aussi informatique et communication quantiques : la chercheuse au Centre géopolitique des technologies à l’Institut français des relations internationales (Ifri) Mathilde Velliet a passé au crible les transactions occidentales qui alimentent le développement technologique chinois, et parfois même ses pires dérives sécuritaires. Voici ce que l’on a retenu de ce rapport intitulé « Financer son rival. Quand les États-Unis et l’Europe investissent dans la tech chinoise ».
1 / Une « guerre technologique » ambigüe
À l’origine de 7 % des transactions réalisées, les États-Unis sont le deuxième plus gros investisseur dans la tech chinoise. Une proportion limitée, mais qui pose néanmoins question dans le contexte de la « guerre technologique » que se livrent les deux pays depuis plusieurs années, dans la mesure où elles contribuent au développement de secteurs clés au bénéfice de leur principal rival économique. Parmi les cas les plus notables cités dans ce rapport, citons les géants américains des semi-conducteurs Intel et Qualcomm, qui investissent dans la microélectronique et l’IA chinoise. Ou encore le premier fonds d’investissement mondial spécialisé dans la santé (basé à New York) OrbiMed, qui a réalisé une quarantaine d’investissements dans les biotechnologies chinoises depuis 2010.
« Washington craint que la Chine menace sa suprématie technologique, car c’est le socle de sa suprématie militaire. »
Mathilde Velliet, chercheuse au Centre géopolitique des technologies à l’Institut français des relations internationales
L’Europe n’est pas en reste, bien que sa contribution soit plus modeste. Il n’empêche que la tendance est légèrement à la hausse : les investissements en provenance du Vieux Continent représentaient entre 2 % et 4 % par an sur la période 2019–2023, contre 1 % depuis 2014. La majorité d’entre eux ciblent des entreprises dans l’IA. En Allemagne, l’industrie automobile (à l’instar de Mercedes-Benz et de Volkswagen) est particulièrement friande de telles transactions visant des boîtes chinoises. Une manière d’être à la pointe mondiale de l’innovation – notamment en matière de conduite autonome – et de rester compétitives face à leurs concurrents nationaux.
Plus qu’un coup de pouce à un adversaire économique, ces investissements, même limités, posent questions dans la mesure où « la Chine n’est pas uniquement un concurrent économique et technologique des États-Unis, c’est un rival stratégique, explique Mathilde Velliet dans l’Express. C’est le facteur qui change la donne ici. Washington craint que la Chine menace sa suprématie technologique, car c’est le socle de sa suprématie militaire. »
2 / Surveillance de masse, armée : des investissements à destination d’entreprises « problématiques »
Plus problématique encore : parmi les dix premiers investisseurs américains, sept ont investi ces dernières années dans des entreprises chinoises actuellement sanctionnées par les États-Unis pour leurs liens avec l’armée, leur implication dans des violations des droits humains ou leurs actions contraires aux intérêts de la politique étrangère américaine. Parmi elles, la start-up chinoise SenseTime spécialisée dans la reconnaissance faciale, épinglée par les autorités américaines pour son rôle dans les persécutions menées contre les Ouïghours dans la région du Xinjiang, et dont le fonds d’investissement américain Parkway Venture Capital a participé à une levée de fonds en 2020. Un lien visiblement plus que financier : « Nos conseils en tant qu’entrepreneurs à succès sont plus précieux pour nos fondateurs que le capital que nous apportons », expliquaient les dirigeants de Parkway Venture Capital.
On pourrait aussi citer l’entreprise d’IA 4Paradigm, qui a signé avec l’académie militaire chinoise un contrat pour fournir un logiciel de commandement du champ de bataille, et fait l’objet d’investissements de la part des Américains Goldman Sachs et Sequoia Capital. Au total, au moins douze entreprises chinoises dans l’IA et les semi-conducteurs black-listées par les autorités américaines ont bénéficié de financements provenant du pays de l’Oncle Sam. Si ces transactions ont, la plupart du temps, été réalisées avant que ne tombent les sanctions, le rôle de ces organisations dans la surveillance ou dans le secteur militaire était souvent connu avant.
Au moins deux investisseurs américains (Sequoia Capital et BOC Capital) ont également placé de l’argent dans l’informatique quantique chinoise. « Au vu de la forte implication gouvernementale dans le secteur de l’informatique quantique et de l’importance de celle-ci dans le domaine militaire, ces deux cas sont notables et leurs implications pour la sécurité nationale américaine posent question », souligne l’autrice de cette étude.
Côté européen, deux transactions – italienne et allemande – jugées problématiques ont également visé une entreprise du secteur quantique chinois (lié à l’écosystème militaire) et une à destination de l’entreprise de microélectronique SJ Semi, sous sanction américaine en raison de ses liens avec l’armée chinoise.
3 / La fête est (bientôt) finie
Le 9 août 2023, Joe Biden prenait le problème à bras le corps en signant un décret limitant les investissements technologiques en Chine, en particulier dans les secteurs jugés sensibles comme l’IA, les semi-conducteurs et l’informatique quantique. Cette mesure, qui devrait entrer en vigueur dans le courant de l’année 2024, imposera aux investisseurs américains de notifier ces transactions aux autorités, qui se garderont la liberté de les autoriser ou non. Une manière de lutter contre l’opacité persistante de ces transactions telles qu’elles ont cours à l’heure actuelle. Le montant des cycles d’investissement dans la tech chinoise était en effet inconnu dans plus de 40 % des cas, précise l’autrice de ce rapport.
Même vigilance du côté de l’Union européenne, qui réfléchit à de nouveaux moyens de contrôle des investissements sortants. Sans pour autant cibler exclusivement les entreprises chinoises, comme le font les Américains. L’UE se préoccupe plus largement des « risques de fuite de technologies et savoir-faire comme conséquence des investissements sortants […] dans un petit nombre de technologies qui pourrait améliorer les capacités militaires et de renseignement d’acteurs qui pourraient utiliser ces capacités pour menacer la paix et la sécurité internationales. »
Malgré leur proportion assez modeste dans le total des investissements réalisés, la réaction chinoise à ces mesures risque de ne pas se faire attendre. En réaction à l’annonce du décret américain, le ministère chinois du Commerce s’est ainsi dit « extrêmement préoccupé », et a déclaré – sans trop de surprise – se réserver le droit de prendre des mesures en retour.
Lire l'article sur le site d'Usbek&Rica.
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