Xi Jinping confronté à ses propres erreurs de casting dans l’armée chinoise
La récente disparition du ministre de la défense, Li Shangfu, et la mise à l’écart de généraux de la force missilière soulèvent des interrogations quant au caractère absolu du contrôle des forces armées par le président chinois.
Dix ans après son arrivée au pouvoir, Xi Jinping contrôle-t-il réellement l’Armée populaire de libération (APL) ? Le remplacement, fin juillet, des deux généraux qui dirigeaient la force missilière et la disparition, depuis le 29 août, du ministre de la défense, Li Shangfu, conduisent à s’interroger.
Pourtant, depuis une décennie, les médias chinois répètent systématiquement que Xi occupe trois fonctions : il est secrétaire général du Parti communiste chinois, président de la République, mais aussi président de la Commission militaire centrale (CMC). C’est cet organisme qui dirige l’APL, bien plus que le ministère de la défense, qui a surtout un rôle de représentation à l’égard de l’étranger. Dans le système chinois, l’armée dépend du Parti communiste, et non de l’Etat. Si Li Shangfu est l’un des sept membres de la CMC, il n’en est même pas l’un des deux vice-présidents.
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Nombreuses sanctions disciplinaires
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Mais les événements de cet été semblent indiquer que la réorganisation est loin d’être terminée. Selon Washington, une enquête aurait été lancée contre Li Shangfu, soupçonné de corruption. Avant d’être ministre, Li Shangfu, ingénieur de formation, a été l’un des pères du programme spatial chinois. En 2017, il a été nommé à la tête du département développement de l’équipement de la CMC. Une sorte de superdirecteur des achats de l’armée. Pour avoir, à ce poste, supervisé l’acquisition de matériel russe, il était d’ailleurs placé sous sanction par les Etats-Unis.
Or, fin juillet, la Commission centrale d’inspection disciplinaire a lancé une enquête sur la corruption au sein de ce département, précisant qu’elle remonterait jusqu’en 2017. Se pourrait-il qu’elle enquête également sur les années antérieures à 2017 ? Le prédécesseur de Li n’était autre que Zhang Youxia, un général qui, malgré ses 73 ans, a été maintenu par Xi à la vice-présidence de la CMC. Il est en fait le militaire le plus puissant du pays, le véritable trait d’union entre Xi et l’armée. Si Zhang était à son tour accusé de corruption, ce serait un séisme dans l’armée. Or, Zhang, lui, n’est pas réapparu en public depuis le 8 septembre. D’où également des rumeurs le concernant.
Corruption persistante
Les interrogations sont d’autant plus vives que, dans le même temps, Xi a décapité la très stratégique force missilière pour nommer à sa tête deux généraux provenant de l’extérieur : l’un est issu de la marine, l’autre de l’aviation. Si, durant les premières années du règne de Xi, les sanctions pouvaient en partie s’expliquer par des critères politiques, ce n’est plus le cas. Les hommes aujourd’hui mis en cause ont été nommés par Xi lui-même. « Il semble que, malgré les efforts de Xi pour nettoyer l’APL, la corruption reste un problème persistant. En ce sens, il faut s’interroger sur la capacité de Xi à exercer son autorité sur ce vaste empire qu’est l’APL », en conclut Bates Gill.
Mais est-ce uniquement un problème de corruption ?
« Vu la stature de Li Shangfu et son expertise dans un domaine stratégique pour la Chine aujourd’hui [le domaine spatial], on comprend mal sa mise à l’écart s’il ne s’agit “que” de corruption. De même, la force missilière étant la force la plus stratégique de l’APL, décapiter son commandement et nommer des officiers qui n’y ont jamais servi indique bien davantage une dissension politique et la mise à l’écart de “brebis galeuses” », analyse Marc Julienne, responsable Chine à l’Institut français des relations internationales.
Signes de la toute-puissance de Xi pour les uns, aveu de faiblesse pour les autres, les mouvements en cours au sein de l’Armée populaire de libération divisent les experts. Mais, dans tous les cas, ils montrent que Xi Jinping a commis des erreurs dans les nominations qu’il a lui-même effectuées ou au moins validées et que nul, même parmi ses proches, ne peut plus se sentir à l’abri d’une soudaine disgrâce.
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