Xi Jinping à Davos : les ambitions chinoises pour la gouvernance mondiale
En accélérant le rythme de ses initiatives institutionnelles et de coopération multilatérale, la Chine espère jouir d'un statut au sein du système de gouvernance internationale supérieur à celui des démocraties occidentales.
Ce mardi, le président chinois Xi Jinping participe pour la première fois au forum de Davos. Dans les deux discours qu’il y prononcera, il abordera sans aucun doute le thème de la gouvernance mondiale, en martelant le concept officiel de «communauté de destin commun» et se positionnant – après le Brexit et l’élection de Donald Trump – comme le premier défenseur du multilatéralisme et de la mondialisation. Déjà sous la présidence de Hu Jintao (2002-2012), la politique étrangère chinoise en faisait une priorité, mais les ambitions en la matière sont encore plus fortes depuis l’arrivée de son successeur : la Chine ne souhaite plus uniquement contribuer à restructurer la gouvernance mondiale, elle veut piloter le processus de restructuration, pour que la nouvelle architecture internationale réponde au mieux à ses intérêts propres.
Vu de Pékin, le contexte actuel est favorable : alors qu’il existe actuellement un consensus partagé par de nombreux pays sur la nécessité de réformer le système des institutions de l’après-guerre – certaines étant considérées comme inefficaces pour faire face aux grandes crises internationales –, la Chine dispose désormais des capacités (diplomatiques, économiques) suffisantes pour prendre la tête d’une telle réforme.
Dans ce contexte, la Chine accélère le rythme de ses initiatives institutionnelles, dans trois directions en parallèle : intégration dans des institutions existantes, redynamisation d’institutions jusqu’à présent inutiles ou peu efficaces (telle que la Conference on Interaction and Confidence-Building Measures in Asia, la CICA, dont la Chine assure la présidence jusqu’en 2018), création de nouvelles institutions (comme la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, la BAII, en 2014). En déployant ces trois types d’initiatives simultanément, la Chine se dote d’options alternatives dans le cas où l’intégration dans certaines institutions ne s’opère pas à la vitesse ou au niveau qu’elle aurait escompté.
Multiplication des forums thématiques
Les ambitions chinoises portent sur la gouvernance mondiale dans toutes ses dimensions : gouvernance économique et financière, énergétique, culturelle, de l’Internet, de sécurité… En matière de gouvernance de sécurité, les autorités chinoises ont notamment annoncé fin 2016 la création, à partir d’institutions et sommets existants (organisation de coopération de Shanghai, CICA, sommets de l’ASEAN, etc.), d’une «nouvelle architecture de sécurité en Asie» qui ne serait plus fondée sur le système d’alliance (américain) dans la région. Ainsi, la Chine n’investit pas uniquement dans la création de nouvelles institutions, mais également dans la mise en réseau et la valorisation d’institutions (anciennes ou nouvelles) au sein desquelles elle occupe une influence significative.
La Chine développe également de nouveaux mécanismes de coopération multilatérale plus souples, tels que des forums annuels de haut niveau, mêlant représentants des gouvernements, du monde des entreprises, de la société civile au sens large, sur le modèle de Davos et d’autres forums internationaux reconnus. Cette pratique n’est pas propre à la diplomatie chinoise, mais celle-ci se distingue désormais par le nombre et la capacité de financement des forums qu’elle organise. Outre les forums thématiques (Boao forums pour l’économie, Xiangshan forum pour la sécurité, etc.), la Chine créée des forums régionaux depuis le début des années 2000, comme le forum Chine-Afrique (FOCAC) lancé en 2000, le forum de coopération Chine-pays arabes en 2004, ou encore le forum Chine-Communauté des Etats d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC) en 2015. Progressivement, les forums organisés par la Chine couvrent tous les continents, y compris l’Europe : Pékin y a créé un forum Chine-pays d’Europe centrale et orientale (dit «16+1») en 2012, et envisage désormais la création d’un forum avec les pays d’Europe du Sud, malgré les réticences de Bruxelles.
Sans aucun doute, la Chine continuera dans les prochaines années de multiplier les initiatives en matière de gouvernance mondiale, et notamment de développer de nouvelles institutions, réseaux d’institutions et forums. Jusqu’à présent, le ralentissement – relatif – de l’économie chinoise ne remet pas en cause les ambitions et la stratégie des autorités chinoises en matière de gouvernance mondiale. Il s’agit d’une stratégie de long terme, qui continuera probablement d’être déployée tout au long du mandat de Xi Jinping (qui devrait prendre fin en 2022) et au-delà. Selon le calendrier du Parti communiste chinois, cette stratégie devrait pleinement porter ses fruits d’ici 2050, pour le centenaire de la création de la République populaire de Chine, et l’avènement du «grand renouveau de la nation chinoise». A cette date, la Chine espère jouir d’un statut et d’une influence au sein du système de gouvernance international supérieur à ceux des Etats-Unis, et plus largement des démocraties occidentales.
Quid de la France et de l’Europe ?
La dimension idéologique de la stratégie chinoise de gouvernance mondiale ne doit pas être sous-estimée. De plus en plus, chercheurs et officiels chinois soulignent que, selon eux, gouvernance nationale et internationale sont étroitement liées. Depuis plusieurs années, la diplomatie publique chinoise s’applique – notamment lors des forums et sessions de formation qu’elle organise pour les pays en développement – à souligner l’«inefficacité» des démocraties occidentales, l’«efficacité» de son propre système politique, et plus globalement le «déclin» de l’Occident, et des valeurs universelles qu’il promeut – et dont la Chine remet en cause l’existence. Ce discours est martelé avec encore plus de vigueur depuis l’élection de Donald Trump.
Dans le déploiement de sa stratégie, la Chine compte avant tout sur le soutien des pays en développement et des émergents. Toutefois, la Chine se tourne aussi de plus en plus vers les pays les plus riches, et notamment la France, pour restructurer la gouvernance mondiale dans la direction qu’elle souhaite. A chaque nouvelle initiative chinoise, la question d’une participation éventuelle de la France – et des conditions de cette participation – se posera, comme elle s’est déjà posée lors du lancement de la BAII il y a près de trois ans. Cette question est incontournable et mérite d’être anticipée. Surtout, il est dans l’intérêt de la France et de l’Europe d’élaborer une stratégie de gouvernance mondiale qui ne soit pas uniquement formulée en réaction à la stratégie chinoise. Définir sa propre vision, de long terme, de la gouvernance mondiale – c’est-à-dire de la façon dont le monde s’organise et répond aux principales crises internationales : avec quelles institutions et mécanismes de coopération, quelles méthodes et quelles valeurs – est indispensable. A défaut, le monde se réorganisera d’ici 2050 sans la France et l’Europe.
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