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Zimbabwe : quels scénarios de sortie de crise ?

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Interviewé par Tirthankar Chanda pour

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Pendant presque deux semaines, le Zimbabwe a été secoué en ce début d'année par de violentes manifestations contre la hausse spectaculaire des tarifs des carburants et des denrées de base. Le régime qui a pris le pouvoir à Harare depuis la démission de Robert Mugabe en novembre 2017, a réprimé avec férocité cette contestation, faisant des morts et de nombreux blessés. Quelles continuités, quelles ruptures entre le « nouveau Zimbabwe » promis par les successeurs de Mugabe et le « vieux Zimbabwe » tenu en laisse trente-sept ans durant par un pouvoir autocratique et oppresseur ? Analyse avec Victor Magnani, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri) et spécialiste de l’Afrique australe.

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Le nouveau régime zimbabwéen avait promis de libéraliser la vie politique et mettre fin à la « sécurocratie ». La répression des manifestants à laquelle on a assisté au Zimbabwe, du 14 janvier jusqu'à encore ces derniers jours, n'est pas sans rappeler les violences policières de l'ère Mugabe. Qu'est-ce qui a changé ?

Il y a en effet des continuités très nettes avec l’époque de Mugabe. Le réflexe sécuritaire du régime face aux contestations s’inscrit dans le prolongement de l’ancienne période. Mais néanmoins, il y a des ruptures. On a pu notamment observer que l’armée est devenue l’élément principal de l’appareil sécuritaire du régime, alors que sous Robert Mugabe c’était la police qui était envoyée en premier lieu pour faire face à des manifestants. A l’époque, trois entités fondaient l’autorité sécuritaire de l’Etat : l’armée, la police et les services de renseignement. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmerson Mnangagwa, à la faveur du coup d’Etat contre Mugabe en 2017, la police et les services de renseignement sont placés sous la tutelle de l’armée qui est appelée en priorité pour mater la contestation populaire. La répression brutale des opposants est la conséquence de ce changement. C’est ce qui explique pourquoi les victimes des tirs à balles réelles ont été si nombreuses au cours de ce nouvel épisode de confrontation entre l’Etat zimbabwéen et sa population.

Quel a été le bilan de cette dernière répression ?

C’était difficile de savoir car l’Internet avait été coupé pendant et après les manifestations. Mais selon le Zimbabwe Human Rights NGO Forum (Forum des ONG des Droits de l’Homme du Zimbabwe), le bilan s’établirait à quelque 12 morts et une centaine de blessés par balles réelles. On n’avait pas vu ce niveau de brutalités même au cours des dernières années de l’ère Mugabe. L’autre grande rupture a été la violence perpétrée par des manifestants eux-mêmes qui sont allés cette fois à la confrontation avec les forces gouvernementales. Un policier a été tué, des immeubles et des voitures ont été incendiés. C’est totalement inédit, car les Zimbabwéens qui étaient opposés à Mugabe avaient plutôt l’habitude jusqu’ici de manifester pacifiquement. La violence perpétrée par la population est inquiétante, car elle témoigne d’un état de désespoir absolu, notamment de la part de la jeunesse urbaine qui se sent complètement délaissée. Au point que ces jeunes sont prêts à risquer leur vie en allant témoigner leur frustration sur la place publique.

Au moment des affrontements, le président Emmerson Mnangagwa était en déplacement à l’étranger. Il a déclaré à son retour que la répression était injustifiée et que des têtes allaient tomber. Cette répression, a-t-elle pu avoir lieu sans le feu vert du chef de l’Etat ?

C’est une vraie question. On peut se demander, au moment où on se parle, qui est le vrai preneur de décisions au sein de l’Etat zimbabwéen ? Emmerson Mnangagwa était forcément au courant, mais était-ce lui le donneur d’ordre ou l’ordre venait-il du vice-président, le Général Constantino Chiwenga ? Pour beaucoup d’observateurs, ce serait ce dernier le véritable homme fort du régime. La question se posait déjà en août 2018, au lendemain des élections, lorsque les opposants qui étaient descendus dans la rue pour contester les résultats, étaient violemment repoussés par les militaires, faisant six morts. On pouvait difficilement imaginer que l’ordre pouvait venir de la présidence, alors que le président s’était donné beaucoup de mal pour se construire une image de réformateur, promettant de libéraliser le champ politique. On avait senti à l’époque un certain malaise au sommet de l’Etat dont témoignaient certaines décisions contradictoires.

Certains évoquent un partage de rôles entre le vice-président et le président pour donner le change face à la communauté internationale. « Good cop, bad cop ! »

C’est une hypothèse tout à fait crédible. Il y aurait d’un côté Emmerson Mnangagwa, chargé de s’adresser à la communauté internationale et d’apaiser la colère des bailleurs de fonds avec ses promesses. Et de l’autre, Constantino Chiwenga qui, lui, rassure les « sécurocrates » du régime et fait comprendre à la population que les décisions du gouvernement ne peuvent être contestées. Il est possible aussi que ce soit le vice-président qui soit réellement aux manettes. Ces différentes hypothèses seront à confirmer ou infirmer en fonction des prochaines décisions du régime, mais on sait qu'il y a des tensions entre le président et le vice-président.

La hausse des prix du carburant à la pompe était à l'origine de la contestation. Cette contestation ne traduit-elle pas aussi une frustration plus large et peut-être des attentes démesurées de la part d’une population déjà échaudée par les promesses de Mugabe ?

La décision du gouvernement d’augmenter de 150% le prix des carburants à la pompe a déclenché la colère de la population. A cette décision s’ajoutent l’inflation, la dévalorisation de la monnaie, la pénurie des denrées de base… La population était en colère et elle est descendue dans la rue à l’appel du principal syndicat du pays, le Congrès zimbabwéen des syndicats (ZCTU), qui avait aussi appelé à une grève générale. Si le mécontentement populaire renvoie à des enjeux concrets et quotidiens tels que le pouvoir d’achat, le chômage, les pénuries, il pointe aussi un problème plus large de frustrations face à des promesses non tenues par le régime. A la chute de Robert Mugabe, la population avait espéré voir la situation économique du pays s’améliorer rapidement, mais le gouvernement n’a pas su répondre aux attentes. Sans doute parce que les attentes étaient démesurées, mais aussi, sans doute, parce que le régime avait mal mesuré la profondeur des maux.

De quels maux s’agit-il ?

L’incapacité d’attirer des investissements étrangers demeure l’une des grandes faiblesses de l’économie zimbabwéenne. Pour remédier à cette situation, il fallait regagner la confiance de la communauté internationale. Force est de reconnaître que le régime issu du coup d’Etat de novembre 2017 a envoyé dans un premier temps plusieurs signaux positifs, notamment en libéralisant la vie politique, ouvrant des pans de l’économie à la privatisation et s'engageant à rétablir la monnaie nationale abandonnée depuis 2009 à la suite de la période d'hyperinflation. Ces annonces avaient crédibilisé la posture internationale du régime, mais la répression post-électorale de l’an dernier, qui s’est traduite par la mort de 6 civils tués par balles par les forces armées, a glacé l’enthousiasme des investisseurs institutionnels et privés. Des bailleurs de fonds qui étaient prêts à débloquer des lignes de crédit en faveur du Zimbabwe ont tout gelé. Il avait aussi été question, un temps, de lever les sanctions économiques imposées par les Etats-Unis, l’Union européenne et d’autres Etats à l’époque de Mugabe, mais cela aussi a été reporté. L’Afrique du Sud plaide dans les forums internationaux pour la levée des sanctions visant le Zimbabwe, mais suite aux récents événements, il est difficile d’imaginer qu’elles se concrétisent dans un futur proche. Les investisseurs étrangers ne semblent aujourd'hui pas prêts pour reconsidérer les opportunités d’investissement au Zimbabwe.

Quels sont les possibles scénarios de sortie de crise pour le régime zimbabwéen ?

Le pays est très fortement polarisé, avec d’un côté le pouvoir qui accuse l’opposition et les syndicats de promouvoir un agenda de changement de régime et d’être anti-patriotes et de l’autre l’opposition qui refuse de reconnaître la constitutionnalité du pouvoir soupçonné d’avoir manipulé les résultats des élections à son profit. Dans ces conditions, les perspectives de solutions négociées semblent plutôt minces.

Selon certains observateurs, l’idée d’un « dialogue national » semble faire son chemin dans les esprits. Quelles sont les chances de sa réussite ?

L'idée d’un « dialogue national » a été mise en avant par les médiateurs potentiels. Qui sont-ils ? Je pense aux Eglises. Elles ont été historiquement impliquées dans l’évolution de la vie politique au Zimbabwe. Qui plus est, les autorités ecclésiastiques sont peut-être aujourd’hui les seuls acteurs de la vie publique zimbabwéenne à pouvoir parler aux deux partis, aux opposants comme aux représentants du régime. Les pays de la région peuvent également jouer avec une certaine légitimité le rôle de médiateur, surtout l’Afrique du Sud qui a été le partenaire historique du Zimbabwe. Le président sud-africain Cyril Ramaphosa est attendu sur ce dossier, même si toutefois ses timides déclarations semblent minimiser l'ampleur de la crise zimbabwéenne.

 

Voir l'interview sur le site de RFI

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Victor MAGNANI

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Ancien Chargé de projets, Centre Afrique subsaharienne de l'Ifri