Turquie : enjeux internes et choix diplomatiques
Le traité de Lisbonne devait faire entrer l’Union européenne (UE) dans une ère nouvelle : ce sera peut-être le cas, mais celle-ci sera, en toute hypothèse, moins brillante que promis.
Certes, la construction européenne ne peut être jugée qu’à l’échelle de l’histoire, et on lui oppose des échéances de médiocre terme. Mais comme toute entreprise d’histoire, elle est remodelée par les événements, qui la contraignent, ou la déroutent : la « friction » clausewitzienne ne vaut pas seulement pour les guerres, et l’UE pourrait bien se retrouver « ailleurs », déviée de sa trajectoire initiale, sans l’avoir voulu. Le bilan d’aujourd’hui – qui n’est que partiellement imputable à Lisbonne – est peu enthousiasmant : ce numéro de Politique étrangère en donne quelques illustrations.
La question turque – qui fait l’objet du premier dossier de ce numéro – peut être vue comme l’emblème de l’incapacité de l’UE à décider, et à intégrer une conception claire de son être et de son destin. Après tout, l’Union aurait pu, pourrait légitimement choisir de refuser la candidature turque. Nulle évidence, ni en faveur de l’intégration, ni contre elle, ne prédétermine la réponse à donner. L’Europe n’a aucune définition naturelle, et l’UE encore moins : il s’agit d’une institution censée élire ses membres en fonction de ses objectifs propres et de ses conditions de fonctionnement. Bref, l’affaire doit être tranchée politiquement. À louvoyer sans cesse, à ouvrir des négociations en pensant les bloquer, Bruxelles incite de fait à l’inversion de la posture d’Ankara vis-à-vis de l’Europe : elle renvoie la Turquie à elle-même, à une nouvelle définition de sa politique étrangère et peut-être de ses équilibres politiques internes. À ne rien dire ou à tenir un discours incompréhensible, l’Union prend ainsi un risque non négligeable, dans une région où l’amateurisme géopolitique coûte souvent cher.
Et ce ne sont sans doute pas les institutions mises en place par le traité de Lisbonne qui rendront les choses plus claires... Sans insulter ni l’avenir ni les personnes – que leur fonction peut aussi modeler –, relevons seulement que la désignation du président permanent du Conseil européen et du Haut Représentant pour la politique étrangère a bien mis les pendules à l’heure. Il n’est pas question pour les États membres – pour tous, petits ou grands, avec leurs logiques particulières – de laisser cristalliser un pouvoir européen que, de toute façon, l’imbroglio institutionnel rend introuvable. Les réglages institutionnels entre le président du Conseil, celui de la Commission, le Haut Représentant, le Parlement... s’engagent sous l’œil soupçonneux des États, notamment des plus grands d’entre eux, France et Allemagne, qui ont pourtant grand intérêt – mais historique, plus que conjoncturel – à ce que l’Union gagne, d’une manière ou d’une autre, en puissance.
On observera donc de près la mise en place du Service européen pour l’action extérieure, et avec peur : peur qu’il échoue à créer une efficacité propre dans les domaines d’importance pour l’UE – car il est toujours aisé de s’entendre sur ce qui n’importe pas... – ; ou peur qu’il ne se constitue, à l’image des instruments de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD), en capacité technique sans hypothèse politique d’emploi, faute de volonté des États. […]
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