L'énergie et le climat face aux chocs du COVID-19 : à quitte ou double ?
Dans le domaine de l’énergie et du climat, les chocs liés au COVID-19 sont multiples et inédits dans leur ampleur et horizons.
Choc des prix du pétrole, du gaz et de l’électricité qui s’effondrent du fait d’une demande paralysée et d’une offre surabondante. Choc des investissements en net recul, et de l’emploi, dans un contexte de baisse des revenus. Choc géopolitique, avec les tensions entre grands producteurs et l’effondrement de l’alliance OPEP+ dont les membres ont été pris de court par la paralysie des grandes économies. Choc des politiques publiques, car si les émissions sont en baisse, l’urgence n’est plus le climat et Trump préfigure de ce que peut être le pire des scénarios : déconstruction des normes environnementales et relance tous azimuts.
Les nouveaux équilibres qui s’esquissent
Dans le domaine des hydrocarbures, les prix extrêmement bas finiront par se ressaisir lorsque la demande repartira. La remontée des cours sera progressive car l’économie mondiale évoluera de manière inégale, et parce que les stockages sont extrêmement remplis. Elle sera facilitée si les grands producteurs parviennent à s’accorder sur des coupes inédites de production – l’alliance OPEP+ peut être réanimée et même si la discipline vacille, les forages sont en recul.
À moyen terme, il n’y aura pas de retour ex ante des investissements. Le pic de demande pétrolière pourrait désormais intervenir dès 2025-2028. Les États renforceront la fiscalité sur les carburants, les cours du brut se redresseront et la mobilité propre se déploiera. Il faudra au moins trois ans au secteur aérien pour se rétablir et le coût des billets devrait croître, ralentissant son expansion. La pétrochimie aura une croissance ralentie. Le scénario combiné d’une expansion mondiale des technologies bas carbone, d’un pic de demande et d’un prix du baril soutenu (60-70$) qui déclenche moins de production pourrait se réaliser.
La Russie et l’Arabie saoudite, qui ont un coût d’extraction bas et peuvent tenir dans la période actuelle, en profiteront, d’autant que l’Iran restera sous sanctions. Mais leur image est écornée, et leurs économies sont affaiblies. Pour de nombreux États rentiers producteurs d’hydrocarbures (ou de métaux) qui ne s’étaient guère rétablis ou réformés après la crise de 2015, des scénarios de déstabilisation sont à envisager car les prix bas du gaz et du pétrole prendront du temps à se rétablir, et les ventes resteront impactées. Le Fonds monétaire international (FMI) aura une occasion de changer leur gouvernance souvent désastreuse.
La combinaison d’une rentabilité plus faible des projets dans l’amont et de normes extra-financières plus contraignantes, de difficultés à gérer la pression fiscale d’États rentiers aux abois et de risques sécuritaires accrus poussera des majors à entamer ou accélérer leur diversification.
Les producteurs actuels de gaz naturel liquéfié (GNL), dont la Russie, bénéficieront à terme des retards ou d’annulations de projets et d’une demande tirée par des prix bas (au détriment du charbon pour la production d’électricité). La hausse inévitable des prix limitera la capacité de paiement de pays émergents fragilisés dont les monnaies sont dépréciées.
Le risque d’effondrement de la gouvernance du climat existe. Les mesures de soutien aux États-Unis sont tous azimuts et Trump a encore raboté des normes environnementales, sur l’automobile notamment. La Chine peut ne pas hausser ses ambitions climatiques, renforcer son influence globale et exporter ses technologies polluantes. Si l’on y ajoute sa responsabilité dans la propagation du virus, la rupture avec l’Union européenne (UE) paraît inévitable. Et si Beijing opte pour le renforcement de sa contribution nationale, il faudra s’assurer de la crédibilité de ce choix en Chine et à l’étranger, et être ferme sur la réciprocité pour les investissements. Mais avec le report de la COP26 à 2021, l’UE sera en mesure de mettre en avant sa loi Climat et aura plus de temps pour développer un leadership et renforcer la pression sur les réfractaires. Tous les États ont une opportunité historique du fait des prix bas : réallouer les subventions aux énergies fossiles en faveur des technologies bas carbone, notamment le solaire qui est ultra compétitif. Le pétrole, qui a déjà accéléré l’effondrement de l’URSS, viendra-t-il aussi à bout des populistes Trump, Bolsonaro et Obrador ? L’onde de choc pétrolière renforce en tout cas leurs difficultés.
Un Pacte européen vert et de solidarité comme instrument de relance
Une feuille de route européenne de relance qui s’appuie sur la transition énergétique et numérique est en préparation, même si le Conseil européen n’évoque pas le Green Deal et si les tensions politiques sont vives. Tergiverser sur l’investissement dans les solutions et technologies bas carbone entraînera de nouvelles destructions d’emplois et des coûts supplémentaires ultérieurs. Les efforts devront impérativement bénéficier aux industries et emplois européens. L’exigence de la maîtrise des coûts sera primordiale : il convient de faire les bons choix, de renforcer la coordination et planification, comme sur l’éolien offshore ou l’hydrogène propre et surtout, de garantir la prévisibilité sur les objectifs et moyens mis en œuvre. Il faudra impérativement s’entendre sur la hausse des objectifs de 2030 en septembre car il faut un cap clair. Un constat s’impose : l’Emissions Trading System (ETS) n’est pas un instrument de décarbonation suffisant et le marché de l’électricité sera encore moins en mesure de déclencher les investissements nécessaires. La taxonomie européenne étant adoptée, il est temps de lancer des Green Deal Bonds, de voter un budget exceptionnel pour 2021 et de conférer à l’UE plus de ressources budgétaires propres pour la période 2022-2027.
L’assouplissement des contraintes sur les aides d’État et du Pacte européen de stabilité va dans le bon sens et devra être prolongé pour soutenir l’investissement « vert » et de transition, nucléaire compris. La présidence allemande du Conseil pourrait œuvrer à un large plan de relance budgétaire européen après avoir mis en place son propre programme de stabilisation sans précédent, marquant une rupture bienvenue avec son principe d’équilibre budgétaire.
S’il sera inévitable de renforcer la pression fiscale sur les activités et industries polluantes, les mesures de justice sociale et climatique devront être alignées pour éviter une montée populiste et un rejet populaire. La sortie de l’épidémie sera politiquement dure et propice à une déferlante de démagogie et une surenchère de demandes. La désinformation intérieure et extérieure prospérera. Les contestations sociales et environnementales risquent de fusionner dans un large mouvement qui peut se radicaliser. L’animosité accumulée par une partie des Italiens est profonde et potentiellement mortelle si elle se traduit électoralement par une poussée des formations antisystème. Un effort particulier, efficace et concret de la part de tous les acteurs devra être porté pour accompagner l’Italie mais aussi l’Espagne. Le coût d’une solidarité avec ces pays dans les six prochains mois sera insignifiant par rapport à celui qui résultera de leur instabilité durable et d’un effritement de l’UE.
Les villes et territoires seront encore davantage la tête de pont de la transition, en accélérant les efforts de réduction de la pollution et dépasseront les États qui ne sont pas toujours à la hauteur. Voilà pourquoi il importe d’élargir le Green Deal à un Pacte européen vert et de solidarité.
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