Impact du développement des gaz de schiste aux États-Unis sur la pétrochimie européenne
La révolution des gaz de schiste a fait chuter les prix de l’énergie, réduisant significativement le coût de la matière première utilisée par la pétrochimie américaine. Le prix du gaz américain a été divisé par trois entre 2008 et 2012.
. L’éthane, issu des liquides de gaz naturel (LGN) contenus dans les gaz de schiste, et utilisé par la pétrochimie américaine comme matière première pour la fabrication d’éthylène, a vu son prix chuter de 55 % entre 2008 et 2012. Ces baisses entraînent un avantage de compétitivité significatif pour l’industrie pétrochimique américaine, dont les marges explosent. Les États-Unis sont devenus la deuxième région offrant des coûts en énergie et matières premières les plus bas au monde, juste après le Moyen-Orient.
Ce regain de compétitivité entraîne une renaissance de la pétrochimie américaine, alors que le secteur stagnait et avait même connu des vagues de fermetures de sites au milieu de la décennie passée. D’ici 2017, environ 15 milliards de dollars vont être investis dans le pays pour accroître de 40 % la capacité de production d’éthylène - produit phare de la pétrochimie. L’avantage compétitif se répercute en aval de la filière. Notamment les plastiques issus la transformation des bases pétrochimiques sont utilisés par l’industrie manufacturière dans trois grands secteurs de consommation : emballage, bâtiment, automobile. D’ici à 2017, les capacités de production de polyéthylène, polymère le plus utilisé pour la production de plastiques, devraient également s’accroître de 40 %. Les retombées économiques de ces investissements sont significatives. L’American Chemistry Council (ACC) a réalisé une étude portant sur une centaine de projets d’investissement recensés à fin mars 2013 dans la chimie américaine (hors produits pharmaceutiques). Ces projets représentent un investissement total de 72 milliards de dollars d’ici à 2020. Ils augmenteraient le chiffre d’affaires de l’industrie chimique de 67 milliards de dollars (dollars 2012) en 2020 et créeraient 1,2 million d’emplois pendant la période de construction. En 2020, les recettes supplémentaires pour l’économie américaine s’élèveraient à 201 milliards de dollars, les recettes fiscales atteignant 14 milliards de dollars. L"ACC estime qu’avec ces investissements, les États-Unis vont devenir exportateurs nets de produits chimiques, éliminant le déficit commercial lié à l’importation croissante de produits pharmaceutiques.
A l’opposé, la pétrochimie européenne se trouve dans une position délicate, prise dans l’étau d’une demande européenne atone, de coûts en énergie en hausse et d’un outil de production surcapacitaire et vieillissant. Contrairement aux États-Unis, la matière première utilisée par les pétrochimistes européens est le naphta, issu du raffinage du pétrole. Entre 2008 et 2012, le prix du naphta a augmenté de 19 %. Les marges des pétrochimistes européens sont érodées par ces hausses qu’ils ne peuvent que partiellement répercuter sur leurs clients, face à la concurrence des méga-complexes construits au Moyen-Orient à la fin des années 2000 et celle à venir des États-Unis.
À terme, les pétrochimistes européens vont se trouver confrontés à la concurrence des produits Made in America, qui vont déferler sur le marché international après 2016-17, temps nécessaire aux producteurs américains pour réaliser leurs investissements. Cette concurrence présentera un caractère nouveau : les produits américains vont concurrencer directement les produits à haute technicité dont l’Europe est actuellement le champion. L’Europe, qui ne dispose pas d’un prix bas de l’énergie et perd en compétitivité coût, aura des difficultés à freiner ces importations qui ne seront pas subventionnées mais bénéficieront simplement d’un avantage compétitif lié au prix bas du gaz. Les exportations de produits européens risquent également de se trouver en concurrence avec les produits américains qui vont convoiter les mêmes marchés en forte croissance.
La pétrochimie européenne se trouve ainsi confrontée à une nécessaire restructuration et adaptation de son outil de production. La concurrence américaine accélère la fermeture des sites pétrochimiques et la réorientation de la pétrochimie européenne vers des produits de niche. Pour maintenir leur compétitivité, les industriels européens ferment leurs sites isolés et déficitaires, intègrent leurs productions amont et aval, afin de bénéficier de synergies et réduire les coûts. Ils diversifient leurs matières premières et remplacent le naphta. Ils réorientent leurs productions aval vers des produits répondant à l’évolution de la demande européenne : produits innovants, à forte valeur ajoutée et haute technicité, point fort de l’industrie européenne. ("orientation se fait également vers des produits dont le prix de revient est moins dépendant du prix de la matière première énergie, point faible de l’industrie européenne, qui paye sa matière première et son énergie trois fois plus chère que ses concurrents américains. Ces produits sont également plus respectueux de l’environnement, répondant à l’impératif de développement durable, autre point fort de l’industrie européenne qui est à la pointe de la recherche sur la biochimie et les bioplastiques. Enfin, tout comme ils investissent dans les régions à forte croissance (Asie et Chine plus particulièrement) et dans les régions à bas coût de l’énergie (Moyen-Orient), les grands groupes européens investissent également aux États-Unis pour profiter de la manne des gaz de schiste et d’une production à moindre coût.
Contenu disponible en :
Régions et thématiques
ISBN / ISSN
Utilisation
Comment citer cette publicationPartager
Téléchargez l'analyse complète
Cette page ne contient qu'un résumé de notre travail. Si vous souhaitez avoir accès à toutes les informations de notre recherche sur le sujet, vous pouvez télécharger la version complète au format PDF.
Impact du développement des gaz de schiste aux États-Unis sur la pétrochimie européenne
Centres et programmes liés
Découvrez nos autres centres et programmes de rechercheEn savoir plus
Découvrir toutes nos analysesLes marchés du carbone peuvent-ils faire une percée à la COP29 ?
Les marchés volontaires du carbone (MVC) ont un potentiel élevé, notamment pour réduire le déficit de financement de la lutte contre le changement climatique, en particulier en Afrique.
Le secteur électrique indien à la croisée des chemins : relever les défis des distributeurs d'électricité
Le secteur électrique indien a besoin d’une réforme urgente.
L’approvisionnement énergétique de Taïwan : talon d’Achille de la sécurité nationale
Faire de Taïwan une « île morte » à travers « un blocus » et une « rupture de l’approvisionnement énergétique » qui mènerait à un « effondrement économique ». C’est ainsi que le colonel de l’Armée populaire de libération et professeur à l’université de défense nationale de Pékin, Zhang Chi, décrivait en mai 2024 l’objectif des exercices militaires chinois organisés au lendemain de l’investiture du nouveau président taïwanais Lai Ching-te. Comme lors des exercices ayant suivi la visite de Nancy Pelosi à Taipei en août 2022, la Chine avait défini des zones d’exercice faisant face aux principaux ports taïwanais, simulant de fait un embargo militaire de Taïwan. Ces manœuvres illustrent la pression grandissante de Pékin envers l’archipel qu’elle entend conquérir et poussent Taïwan à interroger sa capacité de résilience.
La difficile réorganisation des chaînes de valeur des matières premières critiques – regards sur les politiques européennes de réduction des risques
La demande de matières premières critiques devant, au minimum, doubler d’ici 2030 dans le contexte des politiques actuelles de transition énergétique, la concentration des approvisionnements en matières premières critiques (MPC) – et plus encore, des capacités de raffinage – dans une poignée de pays est devenue l’une des questions fondamentales au sein des discussions internationales, bilatérales et nationales. La position dominante de la Chine et les contrôles successifs des exportations de MPC (récemment le germanium, le gallium, les technologies de traitement des terres rares, l’antimoine) indiquent une tendance à l’instrumentalisation des dépendances critiques.