Réseaux électriques et transition énergétique en Europe
Après un siècle d'imbrication étroite entre les outils de production et les réseaux, la libéralisation du secteur électrique a rompu ce lien en Europe. En permettant aux consommateurs d'accéder à des productions très éloignées, les réseaux de transport à grande distance jouent désormais un rôle central pour stimuler la concurrence entre producteurs.
En conséquence, une réglementation européenne serrée s'applique à ces réseaux, pour encadrer leurs missions et leurs revenus, sans toutefois imposer des barèmes communs, de sorte que des disparités tarifaires altèrent la compétition. Aujourd'hui, le "couplage des marchés" facilite le négoce intra-européen de l'électricité, malgré la relative rareté des liaisons transfrontalières entre certains pays en Europe occidentale. Les règles restent plus hétérogènes pour les réseaux de distribution, assurant la répartition du courant sur un territoire restreint.
Dans la plupart des pays, la transition énergétique passe largement par les sources renouvelables d'électricité, tout particulièrement éolienne et photovoltaïque. Leur développement fait apparaître un double besoin : renforcer les réseaux de distribution d'une part, pour accueillir ces nouvelles productions, accroître les interconnexions d'autre part, afin de pouvoir exporter les volumes excédentaires durant certaines périodes. Ces besoins prendraient un caractère aigu si l'objectif 2030 était confirmé, car la part de l'électricité d'origine renouvelable atteindrait alors 45 %. Pour la Commission européenne, en augmentant les capacités des interconnexions on bénéficierait de deux autres avantages. En premier lieu, un accès étendu aux unités de production les moins chères, ce qui se traduirait par une baisse des prix sur les marchés de gros et leur convergence à l'échelle européenne. En second lieu, une sécurité d'approvisionnement améliorée, physiquement par l'élargissement du périmètre susceptible de porter assistance en cas de nécessité et économiquement par la possibilité d'étendre le rôle des instruments de marché. L'Union Européenne (UE) retient donc un objectif de 10 % pour 2020 et 15 % pour 2030 de capacité d'interconnexion pour chaque pays.
Les réseaux ainsi renforcés présentent le risque de devenir surcapacitaires, les consommations n'augmentant que faiblement avec l'arrivée de nouveaux usages tels que les véhicules électriques, voire diminuant, en raison des programmes d'efficacité énergétique menés aussi au nom de la transition énergétique, ou en raison de l'avancée des dispositifs de stockage du courant. L'équilibre économique des gestionnaires de réseaux appellera alors une hausse tarifaire et probablement une majoration de la composante fixe du tarif, introduisant une sorte de rémunération de la capacité qui pourrait s'alourdir si les politiques d'efficacité énergétique étaient couronnées de succès. Cette perspective compromet les gains de prix attendus sur les marchés de gros, calculés au demeurant avec des hypothèses sur le prix des combustibles et du CO2 que l'on est en droit de discuter. La convergence des prix sur les marchés ne sera en aucun cas un effet suffisant sur les prix de détail, ni pour compenser les écarts issus des charges imposées au niveau national, ni pour atténuer les distorsions de concurrence provoquées par les différents régimes d'exonération en faveur de certaines catégories de consommateurs. Enfin, en laissant agir les marchés pour assurer au mieux leur sécurité d'approvisionnement, plusieurs Etats courent le risque d'accroître leur dépendance à l'égard de pays voisins, de perdre une partie de leur outil de production et de subir un moindre choix des sources constituant leur mix électrique.
Souligner les difficultés n'implique pas de devoir renoncer au projet. Le constat invite en revanche à rester vigilant dans la conduite des extensions et renforcements des réseaux, en s'efforçant en permanence de maîtriser les dépenses, de doper le potentiel de croissance de l'opération par des mesures de politique industrielle, de compenser l'interdépendance électrique accrue qui en résultera par un organe de gouvernance commune et de veiller à la diffusion des connaissances acquises, afin que la transition énergétique ainsi lancée soit vécue comme un projet partagé.
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