Allemagne : des manifestations au débat public, les allusions au nazisme se multiplient
DÉCRYPTAGE - Que ce soit dans des manifestations ou dans le débat public, les recours à des termes ou des concepts piochés dans le nazisme se multiplient ces dernières semaines en Allemagne. Notamment au sein de la CDU d'Angela Merkel, dont une députée a évoqué une théorie proche du "Grand remplacement".
La fête nationale a viré au cauchemar pour Angela Merkel. Le 3 octobre dernier, la chancelière allemande a été accueillie à Dresde par une foule en colère contre sa politique migratoire. Entre les sifflets et les insultes, rien n’a été épargné à la dirigeante. En particulier une pancarte citant Joseph Goebbels, le chef de la propagande sous le IIIe Reich. Une anecdote révélatrice du climat ambiant en Allemagne, où les références à la période nazie fleurissent dans le débat public et les manifestations.
Pour preuve, les récents dérapages des sympathisants de Pegida, le mouvement islamophobe, ou du parti de droite populiste Alternative pour l'Allemagne (AfD). A chaque manifestation, ils dénoncent les "traîtres à la patrie" ("Volksverräter" en allemand) du gouvernement ou des partis établis. Un terme répandu par Adolf Hitler lui-même lors de ses raouts de l'entre-deux-guerres. Autre exemple : le slogan contre la "presse mensongère". Né au début du XXe siècle, il a ensuite été popularisé par les Nazis. Il est désormais scandé à chaque rassemblement anti-migrants. La responsable de l'AfD, Frauke Petry, n’est pas en reste, elle qui veut réhabiliter le qualificatif "ethnique" dans le discours politique - "völkisch" en allemand. Sauf que l’adjectif reste marqué par le nazisme, qui s'en servait pour célébrer la "supériorité" de la race aryenne.
Réhabiliter le qualificatif "ethnique" dans le discours politique
Ces incartades dans le passé noir de l’Allemagne touchent aussi le parti conservateur d'Angela Merkel (CDU). Bettina Kudla, une députée, a ainsi créé une controverse en appelant dans un tweet la chancelière à stopper le mouvement d'"Umvolkung" en Allemagne. Ce concept, proche du "Grand remplacement" en français, fut façonné par les Nazis pour qualifier la "germanisation" des zones conquises en Europe. Il est aujourd'hui prisé des mouvements identitaires afin de dénoncer la substitution à leurs yeux des populations européennes "de souche" par les immigrés.
"On assiste à cela de plus en plus souvent", constate pour LCI Barbara Kunz. Selon cette chercheuse au Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l'Ifri (Institut français des relations internationales), l’extrême droite classique a toujours existé en Allemagne depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. "Sauf que désormais, ses éléments de langage apparaissent dans des camps où, jusqu’à présent, ils n’étaient pas utilisés." Objectif ? Attirer vers soi les projecteurs, à grand renfort de déclarations polémiques. "Pour un politicien en quête de notoriété, ce genre de provocation est un bon moyen", estime Barbara Kunz. Avant de préciser : "La seule chose rassurante, c’est que cela déclenche un débat."
"La foule désinhibée de Dresde a hurlé comme durant le IIIe Reich"
Les médias allemand sont en effet vent debout ces derniers jours contre ces polémiques à répétition. "Il y a déjà eu une République de Weimar, il ne faut pas qu'il y ait celle de Dresde", s'est inquiété ces jours-ci le quotidien de centre-gauche Süddeutsche Zeitung -pour rappel, la capitale de Saxe, dans l'Est du pays, est le fief de Pegida. "La foule désinhibée de Dresde a hurlé comme durant le IIIe Reich. Cette mentalité ethnique n'est pas conciliable avec l'État de droit", lui a fait écho le journal conservateur Die Welt, en s'émouvant de "paroles venant d'un sombre passé".
Malgré cette salve de critiques, peut-on évoquer la fin d’un tabou ? C’est l’avis de l'historien Hans Vorländer, spécialiste de l'extrême droite, qui parle "d'un nouveau codage du discours politique" en Allemagne. "Le tabou reste en place au centre du spectre politique", tempère Barbara Kunz. Et la grande majorité des Allemands est toujours très sensible à ces aspects linguistiques."
Lire l'article sur le site de LCI.
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