Immigration : le règlement de Dublin, l'impossible réforme ?
En voulant abroger le règlement de Dublin, qui impose la responsabilité des demandeurs d'asile au premier pays d'entrée dans l'Union européenne, Bruxelles reconnaît des dysfonctionnements dans l’accueil des migrants. Mais les Vingt-Sept, plus que jamais divisés sur cette question, sont-ils prêts à une refonte du texte ? Éléments de réponses.
Ursula Von der Leyen en a fait une des priorités de son mandat : réformer le règlement de Dublin, qui impose au premier pays de l'UE dans lequel le migrant est arrivé de traiter sa demande d'asile. "Je peux annoncer que nous allons [l’]abolir et le remplacer par un nouveau système européen de gouvernance de la migration", a déclaré la présidente de la Commission européenne mercredi 16 septembre, devant le Parlement.
Les États dotés de frontières extérieures comme la Grèce, l'Italie ou Malte se sont réjouis de cette annonce. Ils s’estiment lésés par ce règlement en raison de leur situation géographique qui les place en première ligne.
La présidente de la Commission européenne doit présenter, le 23 septembre, une nouvelle version de la politique migratoire, jusqu’ici maintes fois repoussée. "Il y aura des structures communes pour l'asile et le retour. Et il y aura un nouveau mécanisme fort de solidarité", a-t-elle poursuivi. Un terme fort à l’heure où l'incendie du camp de Moria sur l'île grecque de Lesbos, plus de 8 000 adultes et 4 000 enfants à la rue, a révélé le manque d’entraide entre pays européens.
Pour mieux comprendre l’enjeu de cette nouvelle réforme européenne de la politique migratoire, France 24 décrypte le règlement de Dublin qui divise tant les Vingt-Sept, en particulier depuis la crise migratoire de 2015.
- Pourquoi le règlement de Dublin dysfonctionne ?
Les failles ont toujours existé mais ont été révélées par la crise migratoire de 2015, estiment les experts de politique migratoire. Ce texte signé en 2013 et qu’on appelle "Dublin III" repose sur un accord entre les membres de l'Union européenne ainsi que la Suisse, l'Islande, la Norvège et le Liechtenstein. Il prévoit que l'examen de la demande d'asile d'un exilé incombe au premier pays d'entrée en Europe. Si un migrant passé par l'Italie arrive par exemple en France, les autorités françaises ne sont, en théorie, pas tenu d'enregistrer la demande du Dubliné.
Face à l’afflux de réfugiés ces dernières années, les pays dotés de frontières extérieures, comme la Grèce et l'Italie, se sont estimés abandonnés par le reste de l’Europe. "La charge est trop importante pour ce bloc méditerranéen", estime Matthieu Tardis, chercheur au Centre migrations et citoyennetés de l'Ifri (Institut français des relations internationales). Le texte est pensé "comme un mécanisme de responsabilité des États et non de solidarité", estime-t-il.
Sa mise en application est aussi difficile à mettre en place. La France et l’Allemagne, qui concentrent la majorité des demandes d’asile depuis le début des années 2000, peinent à renvoyer les Dublinés. Dans l’Hexagone, seulement 11,5 % ont été transférés dans le pays d’entrée. Outre-Rhin, le taux ne dépasse pas les 15 %. Conséquence : nombre d’entre eux restent "bloqués" dans les camps de migrants à Calais ou dans le nord de Paris.
Le délai d’attente pour les demandeurs d’asile est aussi jugé trop long. Un réfugié passé par l’Italie, qui vient déposer une demande d’asile en France, peut attendre jusqu’à 18 mois avant d’avoir un retour. "Durant cette période, il se retrouve dans une situation d’incertitude très dommageable pour lui mais aussi pour l’Union européenne. C’est un système perdant-perdant", commente Matthieu Tardis.
Ce règlement n’est pas adapté aux demandeurs d’asile, surenchérit-on à la Cimade (Comité inter-mouvements auprès des évacués). Dans un rapport, l’organisation qualifie ce système de "machine infernale de l’asile européen". "Il ne tient pas compte des liens familiaux ni des langues parlées par les réfugiés", précise le responsable asile de l’association, Gérard Sadik.
Sept ans après avoir vu le jour, le règlement s'est vu porter le coup de grâce par le confinement lié aux conditions sanitaires pour lutter contre le Covid-19. "Durant cette période, aucun transfert n’a eu lieu", assure-t-on à la Cimade.
- Le mécanisme de solidarité peut-il le remplacer ?
"Il y aura un nouveau mécanisme fort de solidarité", a promis Ursula von der Leyen, sans donné plus de précision. Sur ce point, on sait déjà que les positions divergent, voire s’opposent, entre les Vingt-Sept.
Le bloc du nord-ouest (Allemagne, France, Autriche, Benelux) reste ancré sur le principe actuel de responsabilité, mais accepte de l’accompagner d’un mécanisme de solidarité. Sur quels critères se base la répartition du nombre de demandeurs d’asile ? Comment les sélectionner ? Aucune décision n’est encore actée. "Ils sont prêts à des compromis car ils veulent montrer que l’Union européenne peut avancer et agir sur la question migratoire", assure Matthieu Tardis.
En revanche, le groupe dit de Visegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie), peu enclin à l'accueil, rejette catégoriquement tout principe de solidarité. "Ils se disent prêts à envoyer des moyens financiers, du personnel pour le contrôle aux frontières mais refusent de recevoir les demandeurs d’asile", détaille le chercheur de l’Ifri.
Quant au bloc Méditerranée (Grèce, Italie, Malte , Chypre, Espagne), des questions subsistent sur la proposition du bloc nord-ouest : le mécanisme de solidarité sera-t-il activé de façon permanente ou exceptionnelle ? Quelles populations sont éligibles au droit d’asile ? Et qui est responsable du retour ? "Depuis le retrait de la Ligue du Nord de la coalition dans le gouvernement italien, le dialogue est à nouveau possible", avance Matthieu Tardis.
Un accord semble toutefois indispensable pour montrer que l’Union européenne n’est pas totalement en faillite sur ce dossier. "Mais le bloc de Visegrad n’a pas forcément en tête cet enjeu", nuance-t-il. Seule la situation sanitaire liée au Covid-19, qui place les pays de l’Est dans une situation économique fragile, pourrait faire évoluer leur position, note le chercheur.
- Et le mécanisme par répartition ?
Le mécanisme par répartition, dans les tuyaux depuis 2016, revient régulièrement sur la table des négociations. Son principe : la capacité d’accueil du pays dépend de ses poids démographique et économique. Elle serait de 30 % pour l’Allemagne, contre un tiers des demandes aujourd’hui, et 20 % pour la France, qui en recense 18 %. "Ce serait une option gagnante pour ces deux pays, mais pas pour le bloc du Visegrad qui s’y oppose", décrypte Gérard Sadik, le responsable asile de la Cimade.
Cette doctrine reposerait sur un système informatisé, qui recenserait dans une seule base toutes les données des demandeurs d’asile. Mais l’usage de l’intelligence artificielle au profit de la procédure administrative ne présente pas que des avantages, aux yeux de la Cimade : "L’algorithme ne sera pas en mesure de tenir compte des liens familiaux des demandeurs d’asile", juge Gérard Sadik.
- Quelles chances pour une refonte ?
L’Union européenne a déjà tenté plusieurs fois de réformer ce serpent de mer. Un texte dit "Dublin IV" était déjà dans les tuyaux depuis 2016, en proposant par exemple que la responsabilité du premier État d'accueil soit définitive, mais il a été enterré face aux dissensions internes.
Reste à savoir quel est le contenu exact de la nouvelle version qui sera présentée le 23 septembre par Ursula Van der Leyen. À la Cimade, on craint un durcissement de la politique migratoire, et notamment un renforcement du contrôle aux frontières.
Quoi qu’il en soit, les négociations s’annoncent "compliquées et difficiles" car "les intérêts des pays membres ne sont pas les mêmes", a rappelé le ministre grec adjoint des Migrations, Giorgos Koumoutsakos, jeudi 17 septembre. Et surtout, la nouvelle mouture devra obtenir l’accord du Parlement, mais aussi celui des États. La refonte est encore loin.
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