La réforme du Pacte migratoire n’en finit plus de diviser les pays de l’Union européenne
Plus question de laisser l’Italie, la Grèce, Malte ou l’Espagne gérer seules, ou presque, les arrivées de migrants. Pour imposer aux 27 États de l’Union européenne de se montrer solidaires, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a promis un nouveau Pacte sur la migration et l’asile, en septembre 2020. Depuis, les discussions avancent au ralenti… Entretien avec Matthieu Tardis, spécialiste des migrations, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri)
Six ans après le pic migratoire de 2015, qui avait vu débarquer en Europe plus d’un million de migrants, les flux ont largement diminué. Moins de 100 000 arrivées ont été enregistrées l’an dernier, mais la pandémie a pesé. Les tensions entre les 27 États de l’Union européenne, elles, sont toujours là. Et la réforme du Pacte sur la migration et l’asile, annoncée en septembre 2020 par la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, est encore loin de se concrétiser. C’est sans doute à la France qu’incombera la mission de débloquer la situation, lorsqu’elle prendra la présidence tournante de l’Union européenne, le 1er janvier 2022.
Entretien avec Matthieu Tardis, spécialiste des migrations, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri).
Que prévoit la réforme du Pacte sur la migration et l’asile, présentée en septembre 2020 par la nouvelle Commission européenne ?
Elle propose de revoir comment on « filtre » les migrants, une fois qu’ils sont arrivés sur le territoire européen : il s’agit de déterminer quelles personnes relèvent a priori de l’asile et lesquelles ne peuvent pas y prétendre. En fait, la Commission européenne veut institutionnaliser le modèle des « hotspots » [centres d’enregistrement] qui existent déjà.
Le principe serait d’avoir des lieux, aux abords des frontières extérieures, mais côté européen, dans lesquels on pourrait maintenir pendant une certaine période les candidats à l’entrée sur le territoire de l’UE. On pourrait alors faire accéder à une procédure d’asile ceux qui y sont a priori éligibles. Et ouvrir une procédure de retour pour les autres…
Cela paraît simple, mais cela fait six ans que l’UE échoue à le faire…
Le nœud, c’est : comment se répartir les demandeurs d’asile. La Commission européenne dit avoir trouvé un consensus qui, pour moi, relève plutôt d’un compromis fait aux pays dits de « Visegrád » : Hongrie, Pologne, Slovaquie et Tchéquie.
On met fin au règlement Dublin III, mais le système que l’on propose revient au même : il renforce même un peu plus la responsabilité des pays en première ligne sur la route des migrants. C’est toujours sur leur sol que ce sera réalisé le « tri » entre les personnes.
Quelle est la nouveauté alors ?
La réforme prévoit un « mécanisme de solidarité ». C’est-à-dire que tout le monde n’est pas obligé d’accueillir des demandeurs d’asile : des pays comme la Hongrie peuvent décider de contribuer différemment à cette solidarité. Cela peut passer par des contributions financières pour renforcer les contrôles aux frontières ou par un système de parrainage des retours.
Concrètement, en quoi consisterait ce parrainage ?
Là, je vous avoue que je n’ai pas encore très bien compris comment fonctionnerait ce concept… et je ne suis pas le seul ! Prenons un cas d’école, avec des arrivées irrégulières de migrants en Italie. Si la Hongrie refuse d’accueillir une partie de ces demandeurs d’asile, elle peut, selon ce pacte, prendre la responsabilité du retour des migrants en situation irrégulière en finançant cette opération. Mais qu’en sera-t-il de sa responsabilité juridique envers ces personnes ? La question reste en suspens. Si ces migrants sont sur le territoire italien, c’est l’Italie qui reste responsable d’eux, légalement.
Cette concession est d’autant plus surprenante qu’une large majorité de migrants n’a pas envie d’aller dans des pays comme la Hongrie, où ils savent que les autorités ne veulent pas d’eux…
Oui. Sur cette question, l’enjeu politique prime : on donne finalement beaucoup de place au Premier ministre hongrois, Viktor Orban. Plus que n’en a réellement son pays, ramené à sa population et à sa richesse. Or, sa première réaction a été de rejeter le pacte migratoire !
Cela démontre-t-il que le compromis est impossible ?
C’est le cœur du problème : comment faire fonctionner une institution comme l’Union européenne, avec des gouvernements libéraux et des gouvernements populistes, pour lesquels l’immigration et l’anti-européanisme sont un moteur électoraliste en interne ? Car l’enjeu pour Viktor Orban est avant tout de garder le pouvoir, de critiquer l’Union européenne tout en prenant l’argent. Face à ce type de gouvernement, l’UE, qui repose sur l’État de droit et un certain rationalisme politique, se retrouve extrêmement démunie.
Le résultat, c’est que la réforme du Pacte migratoire patine ?
La pandémie de Covid a aussi contribué à ralentir les discussions. L’Allemagne, qui assurait la présidence tournante de l’UE au second semestre 2020, a échoué à obtenir un accord politique des Vingt-Sept avant le 31 décembre. Depuis janvier, le Portugal, qui s’était fixé un programme plus social, a bien essayé de maintenir cette question à l’agenda, mais ce n’est plus la priorité, du fait de la pandémie. La Slovénie [qui reprendra la présidence tournante de l’UE le 1er juillet] ne sera sans doute pas pressée d’avancer. Ce sera donc à la France de jouer, quand viendra son tour de présider, le 1er janvier 2022.
Sur quels leviers devrait peser Paris ?
La France, notamment le ministère des Affaires étrangères, est déjà en train de réfléchir à cette question migratoire, qu’elle abordera certainement par le biais de sa dimension externe : acter le fait que l’on ne parviendra pas à s’entendre en interne et compter plutôt sur les partenariats avec des pays tiers. Paris va mettre en avant ses relations avec l’Afrique, qui sont un peu sa valeur ajoutée par rapport à ses partenaires européens.
Des partenariats avec quels pays ?
On a beaucoup traité, jusqu’à présent, avec les pays d’Afrique du Nord en les considérant comme des pays de transit. Or le Maroc, l’Algérie et la Tunisie sont plutôt des pays d’origine, avec de nombreux départs de leurs propres ressortissants. La relation avec le Niger est aussi essentielle : il s’agit d’un pays sur lequel on a pu déjà compter pour essayer de freiner les flux vers la Libye. Mais il sera aussi fondamental, pour la France, de développer des partenariats avec la Côte d’Ivoire, la Guinée et le Sénégal…
Qu’en disent les 26 autres États membres ?
Ces partenariats avec des pays tiers font consensus. Tout le monde, au sein de l’Union européenne, s’accorde pour dire qu’il faut essayer de prévenir l’immigration irrégulière.
Lire l'entretien sur le site de Ouest France
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