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« Moscou ne veut avoir qu’un réel ennemi : l’Occident »

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interviewé par Christophe Gueugneau pour

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Au lendemain de l’attentat dans la banlieue de Moscou, revendiqué par l’État islamique, le président russe a pointé la responsabilité de l’Ukraine. Pour le chercheur Dimitri Minic, de l’Ifri, Poutine pourrait en profiter pour « durcir encore la guerre contre l’Occident ».

Dans sa première intervention depuis le tragique attentat qui a fait 133 morts vendredi soir dans la banlieue de Moscou, le président russe, Vladimir Poutine, a insisté sur le fait que quatre auteurs de l’attaque ont été arrêtés alors qu’« ils se dirigeaient vers l’Ukraine où, selon des données préliminaires (des enquêteurs), une “fenêtre” avait été préparée pour qu’ils franchissent la frontière ».

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 Le Palais du Grand Kremlin, Moscou
Le Palais du Grand Kremlin, Moscou
© Karasev Viktor/Shutterstock.com
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Poutine a fait samedi une brève allocution de 5 minutes. Il a déclaré demain dimanche jour de deuil national. Il a confirmé que les 4 assaillants étaient détenus et promis de trouver tous ceux qui les ont aidé. Il n’a pas directement pointé l’Occident mais a tout de même insisté sur le fait que les responsables de l’attentat se dirigeaient vers l’Ukraine. Un tel lien est-il crédible ?

Il a prétendu que les auteurs de cet attentat se seraient dirigés vers l’Ukraine où une porte de sortie leur aurait été préparée. Ainsi, il cherche à instiller l’idée que Kiev est derrière cette tuerie, et derrière Kiev, le prétendu sponsor et ennemi implacable de la Russie : l’Occident. Ce lien n’est évidemment pas crédible pour plusieurs raisons. D’abord, signalons immédiatement que l’État islamique a revendiqué cette attaque, selon un mécanisme tout à fait classique, et qu’il n’a jamais cessé de viser la Russie depuis des années. Il n’y a même pas deux semaines, le FSB avait empêché l’attaque d’une synagogue à Moscou par la mouvance djihadiste qui se trouve certainement derrière l’attentat d’hier : l’État islamique Khorasan (branche afghane). Deuxièmement, les États-Unis et d’autres puissances occidentales ont eu l’altruisme, malgré l’hostilité manifeste, de prévenir Moscou, comme Téhéran il y a quelque temps, de l’imminence d’attentats de ce type. Troisièmement, l’organisation d’une telle attaque ne fait pas partie des méthodes occidentale et ukrainienne et reviendrait à rivaliser avec les crimes de la Russie contre les Ukrainiens, bien souvent civils. Non, cette piste n’est pas crédible, et en tout cas, il est quasi-certain que ni les capitales occidentales ni Kiev n’ont de responsabilité dans cette tuerie.

 

La Russie est-elle en capacité de mener de front la guerre en Ukraine et une éventuelle "guerre contre le terrorisme" ?

La Russie a une expérience historique de la lutte antiterroriste, et de nombreuses coopérations avec l’Occident ont existé en ce domaine. C’est cette lutte contre le « terrorisme international », âprement conduite par Moscou durant les années 2000-2010, qui a pu rapprocher l’Occident et la Russie à un moment où de nombreux contentieux existaient. Une des raisons qui expliquent l’incapacité de Moscou à empêcher cette tuerie est justement la concentration des services de renseignement sur l’Ukraine, l’Occident et les prétendus ennemis de l’intérieur. Je pense que depuis quelques années, les services de renseignement intérieur russes se sont davantage intéressés aux libéraux « subversifs » et pro-occidentaux qu’au terrorisme islamique. Moscou a la capacité de mener des opérations antiterroristes et d’empêcher des attentats, comme il l’a démontré depuis des années, y compris contre l’État islamique.  La question est : a-t-il envie de mener une guerre au terrorisme islamique ? Je ne suis pas sûr que le Kremlin veuille se disperser et prendre le risque de valider l’existence d’autres menaces que celles de l’Occident, à qui il essaye déjà, au contraire, d’attribuer une responsabilité dans cette tuerie. Moscou ne veut avoir qu’un réel ennemi (pourtant imaginaire) : l’Occident. D’autres menaces étrangères (elles bien réelles, comme le terrorisme islamique) à cette lutte à mort pourraient brouiller la ligne idéologique du Kremlin (the West vs the Rest) et même rapprocher la Russie et l’Occident.

 

Le terrible attentat de vendredi soir intervient quelques jours seulement après la réélection de Vladimir Poutine, est-ce que cet événement peut avoir un impact, et si oui de quel ordre, sur ce nouveau mandat – le cinquième – du président russe ?

Pour commencer, je ne pense pas qu’il y ait un quelconque rapport entre cette tuerie et l’élection présidentielle russe. Organiser ce type d’attaques est probablement très difficile, surtout dans des pays comme la Russie, qui ont une expérience douloureuse et récente d’attentats meurtriers. Mais les terroristes ont su profiter d’une opportunité dans un pays en guerre, qui, en plus d’être perçu comme un pays chrétien, est un pays ennemi des groupes djihadistes, compte tenu de son expérience en Afghanistan, en Tchétchénie, en Asie centrale, de sa relation avec l’Iran et de l’opération militaire menée aux côtés des forces de Bachar al-Assad à partir de 2015. Surtout, cela permet à cette branche afghane de l’État islamique de gagner en visibilité, tandis qu’elle avait été marginalisée par les Talibans et qu’elle semble avoir trouvé des soutiens au Tadjikistan. Poutine pourrait se saisir de cet attentat opportuniste pour renforcer l’implication de la société dans la guerre en Ukraine et durcir encore davantage la guerre contre l’Occident.

 

Les Etats-Unis affirment avoir prévenus leurs homologues russes il y a quelques semaines de la préparation d'un attentat visant Moscou. Mardi dernier pourtant, lors d'un discours, Poutine déclarait : «Les déclarations provocantes récentes d’un certain nombre de responsables occidentaux sur de possibles attaques terroristes en Russie» ne sont que «purs chantages». Peut-on parler de « raté » des services russes ? Poutine pourrait-il en être tenu pour responsable auprès de la population ?

Poutine avait effectivement assimilé ces messages occidentaux à de la provocation, et ce pour plusieurs raisons. La première est la paranoïa, qui n’est limitée ni au cas russe, ni à Poutine en Russie, et qui pas nouvelle à la tête de la Russie. Le problème est qu’en Russie, cette perception radicalement hostile du monde est partagée par les élites politiques et militaires en place et qu’elle est historiquement enracinée, du fait des croyances centrales et du mode de pensée de ces élites : hostilité radicale et omnipotence de l’Occident, tendance à nier le hasard et la contingence, raisonnements déterministes et impression que les phénomènes sont interconnectés et souvent dissimulés etc. Cela dépasse d’ailleurs le contexte de la guerre en Ukraine : l’idée que l’Occident finance et forme les terroristes qui ont ensanglanté la Russie depuis 30 ans, de même que les Tchétchènes, a été sans cesse relayée, au point de faire des attentats terroristes une composante de la guerre indirecte occidentale. Après Beslan, en 2004, Poutine l’avait publiquement sous-entendu : les terroristes sont téléguidés pour provoquer l’effondrement de la Russie. Il y a bien sûr une utilisation opportuniste de ces arguments à des fins de politique intérieure, mais ils ne sont pas sans fondements pour les élites politico-militaires russes. Dans ce contexte, accuser l’Ukraine et l’Occident permet aussi à Moscou d’éviter un procès en incompétence, un procès qui serait d’autant plus mérité que l’Occident avait prévenu la Russie – même si la tâche reste très difficile : savoir ne permet pas mécaniquement d’empêcher. Cette attribution du problème à l’Occident est aussi une façon, consciente ou non, de ne pas diviser la société russe, multiconfessionnelle et multiethnique, et de maintenir l’intégrité territoriale de la fédération. La motivation religieuse, l’indépendance et la « sincérité » des commanditaires des attentats ont ainsi tendance à être niés. De fait, ni les responsables ni les médias russes n’évoquent la piste de l’État islamique depuis hier ; peu importe qui se trouve formellement derrière car ils sont des pions forcément manipulés par l’Occident. Personne ne pourra en tenir responsable Poutine car la société civile russe est réduite à peau de chagrin : une partie de la population croira ou se contentera de ce que racontent les médias russes, et l’autre aura ses doutes, voire ses convictions, mais ne voudra ou ne pourra rien y faire.

 

> Lire l'interview dans son intégralité sur le site de Mediapart

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Dimitri MINIC

Dimitri MINIC

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Chercheur, Centre Russie/Eurasie de l’Ifri

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Le Palais du Grand Kremlin, Moscou
© Karasev Viktor/Shutterstock.com