« Nous ne traversons pas une crise migratoire, mais une crise de l’Europe »
À la veille de la Journée des réfugiés et quelques jours après l’arrivée des migrants de l’Aquarius en Espagne, Matthieu Tardis, chercheur au Centre migrations et citoyennetés de l’Ifri, analyse la crise en Europe.
La Croix : Existe-t-il une politique commune d’accueil des étrangers en Europe ?
Matthieu Tardis : Ce sont les institutions européennes qui fixent les directives à suivre en matière d’accueil des étrangers. Mais, dans la réalité, il y a une marge d’appréciation qui est laissée aux pays, qui appliquent les textes différemment.
Les pays arrivent, certes, à se mettre d’accord sur le contrôle des frontières. Mais là encore, même si elles sont menées au nom de l’Europe, comme pour Frontex, ce sont les pays qui opèrent eux-mêmes les contrôles.
Ce sont les déséquilibres entre pays et l’application différente des principes de la politique d’immigration fixée par l’Europe qui sont à l’origine de la situation actuelle. La crise que nous connaissons n’est pas une crise migratoire, c’est avant tout une crise de l’Europe.
L’Allemagne est le pays qui a accueilli ces dernières années le plus d’étrangers. Comment expliquer cela ?
M. T. : L’Allemagne se voit comme un pays d’accueil depuis assez peu de temps. La politique d’immigration a pendant longtemps été limitée à l’accueil des « Gastarbeiter », qui retournaient dans leurs pays d’origine après être venus travailler en Allemagne.
En revanche, l’Allemagne a toujours été une terre d’asile. Après la Seconde Guerre mondiale, elle a accueilli sur son sol 14 millions de membres des minorités germanophones expulsés des pays d’Europe de l’Est où ils étaient installés. Dans les années 1990 encore, la plupart des réfugiés qui ont fui la guerre en ex-Yougoslavie ont été accueillis en Allemagne.
C’est à cette histoire que la chancelière Angela Merkel fait référence quand elle affirme en 2015 : « on va y arriver », lors de l’afflux migratoire de 2015. Dans ce cas, l’Allemagne n’a fait que respecter les règles fixées par l’Europe. Elle a aussi fait preuve de pragmatisme. C’était de toute façon compliqué de repousser autant de personnes en Hongrie ou en Grèce, par où ils étaient arrivés. Autant tout faire pour bien les accueillir.
Pourquoi la politique de l’asile, en principe basée pour tous sur la Convention de Genève, varie-t-elle d’un pays à l’autre ?
M. T. : Ces variations s’expliquent par des sensibilités différentes, liées à l’histoire de chaque pays. Les migrants de nationalité afghane seront par exemple souvent acceptés comme demandeurs d’asile en France, alors que d’autres pays, comme l’Allemagne, les considèrent comme des migrants économiques. De la même façon, les femmes maliennes seront plus souvent acceptées comme réfugiées en France, qui les considère comme soumises au risque d’excision.
Les migrants font-ils un « benchmark » des pays d’accueil comme l’a affirmé le ministre de l’intérieur français Gerard Collomb, le 30 mai ?
Matthieu Tardis : En entamant un périple souvent risqué, les migrants cherchent pour la plupart simplement à survivre. Après, ils vont bien sûr chercher à rejoindre tel ou tel pays selon la présence ou non d’une diaspora de leur pays d’origine, de l’accès plus ou moins facile à l’intégration et au marché du travail. Les migrants raisonnent à l’échelle européenne, peut-être plus que les Européens eux-mêmes.
Pourquoi les politiques d’intégration varient-elles d’un pays à l’autre ?
Matthieu Tardis : Si la politique d’accueil des étrangers est, en principe, une compétence européenne, l’intégration relève, elle, uniquement de la compétence des États.
L’Allemagne et la Suède font figure, là encore, de bons élèves. Ces deux pays donnent accès au marché du travail dès la validation des demandes d’asile, alors que ces mêmes demandeurs doivent attendre neuf mois en France pour pouvoir chercher un travail. Dans ces deux pays, malgré l’afflux de ces derniers mois, tous les demandeurs d’asile ont également été logés par les services de l’État et les associations, même si c’était parfois dans des conditions difficiles.
C’est là encore en décalage avec la France, où les Centre d’accueil des demandeurs d’asile sont largement saturés. En Italie, le Système de protection des demandeurs d’asile (Sprar), géré par les communes, est lui aussi insuffisant. Et la Belgique commence à avoir les mêmes problèmes que la France, avec des migrants qui dorment la nuit dans des parcs à Bruxelles.
Voir l'interview sur le site de La Croix
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