La Colombie, nouveau modèle de transformation économique et énergétique en Amérique latine ?
Il n'y a guère aujourd'hui en Amérique latine que deux tentatives de réforme sociale : celle de Gabriel Boric au Chili et celle de Gustavo Petro en Colombie. Les autres gouvernements « de gauche » sont soit dans une situation financière inextricable et en prise à des conflits internes (Alberto Fernández en Argentine, ou à plus forte raison encore, Nicolás Maduro au Vénézuela), soit sur la défensive face à une droite agressive, parfois majoritaire au Parlement (Lula au Brésil, et Luis Arce en Bolivie), ou alors ont abandonné toute volonté réelle de transformation sociale au-delà du discours (Andrés Manuel López Obrador – AMLO – au Mexique).
Gabriel Boric a enregistré ces derniers mois trois échecs cuisants : le rejet par référendum d'une ambitieuse nouvelle constitution, celui au Parlement d'une réforme fiscale pourtant modeste, et l'élection d'une majorité très conservatrice à la nouvelle Constituante.
Seul Gustavo Petro a pu jusqu'ici initier un programme de réformes. Il a cependant accédé au pouvoir dans un contexte économique difficile il y a près d’un an, avec une économie en ralentissement, une inflation en hausse, et de lourds déficits publics et extérieurs. Il a réussi à faire voter une réforme fiscale d'une réelle ambition par un Congrès toujours réticent à l'exercice. Malgré ce succès initial, sa lune de miel post-électorale avec les partis traditionnels, qui ne l'avaient pas soutenu lors de l'élection présidentielle mais qui l'appuyaient jusqu'ici avec quelque réticence, semble aussi toucher à sa fin. Le président va donc se heurter à des obstacles politiques pour les nouvelles réformes envisagées (travail, retraites, et surtout santé et réforme agraire). La viabilité de son programme de réformes visant à une transformation de la société colombienne est incertaine, et cet environnement politique de plus en plus hostile complique son objectif d'une société plus juste. Ainsi, son projet de réforme du système de santé est très contesté. La mise en œuvre d'une réforme agraire semble plus difficile encore, même si les injustices sociales sont particulièrement aiguës en milieu rural. Dans le secteur énergétique colombien, structuré sur la base de deux données physiques, la modestie des ressources en hydrocarbures et l'abondance du potentiel hydroélectrique, ses tentatives d'intervention sur le marché de l'électricité (pour en faire baisser le prix) ont jusqu'ici été bloquées par des recours juridiques. De même, Gustavo Petro veut accélérer une inévitable (en raison de la modestie des ressources) sortie de l'exploitation pétrolière, gazière et charbonnière pour « passer d'une économie extractiviste à une économie productive », afin de préserver l'environnement et la biodiversité, très riches en Colombie mais menacés.
Dans les deux cas, ces objectifs sont relayés par un ministère des Mines et de l'Énergie peu expérimenté. Là aussi, Gustavo Petro se heurte à des contraintes macroéconomiques et financières (de finances publiques et de balance des paiements) très fortes (et par conséquent au ministère des Finances), aux besoins énergétiques du pays et, on peut l'espérer, à son propre pragmatisme. Sur le prix de l'électricité, des réformes pourraient être négociées, par exemple en révisant l'impact de l'indice des prix de gros dans le calcul du coût unitaire, et peut-être même en différenciant ce calcul par mode de production. Mais le risque existe que le ministère, relayant la préoccupation du Président quant à l'impact social de la hausse du prix au consommateur, n'opte pour des mesures unilatérales. Le ralentissement de l'inflation attendu au cours des prochains mois pourrait contribuer à atténuer les tensions, pour autant que la faiblesse des pluies n'assèche pas les réservoirs de barrages. Sur la génération, le principal obstacle au développement du solaire et de l'éolien est à court terme l'opposition de quelques communautés autochtones de La Guajira à la construction de lignes de transmission : des solutions politiques et économiques existent pour lever cette opposition. Enfin, la question des permis d'exploration pétrolière et gazière est sans doute celle qui aura fait le plus de bruit. Probablement à tort. Le discours gouvernemental a certainement freiné les acteurs privés, mais les permis en vigueur ne seront pas remis en cause, et l'essentiel est détenu par la compagnie nationale publique qui continuera à investir dans l'exploration et la production. Les débats en cours n'auront donc pas d'impact à court ou moyen terme. Il convient toutefois de rappeler que quelle que soit la politique sectorielle, les ressources physiques sont limitées.
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